La Révolution Française

Sain Just

Sur les municipalités

Discours prononcé à la Convention

24 mai 1793

Citoyens,

Le maximum de la population sera-t-il fixé pour les juridictions municipales ?

Je regrette qu'avant toutes choses, on n'ait point tracé les bases du gouvernement qui convenait à la France. L'Europe ne lit point dans nos débats ces grands développements de l'esprit de la République qu'elle avait droit d'attendre et qui devaient réveiller l'instinct de la liberté. Je cherche à la tête de votre ouvrage les dispositions fondamentales qui devraient garantir l'application des droits de l'homme, et je ne trouve que notre volonté dans nos lois.

J'ai peine à concevoir qu'après avoir désigné les parties du souverain sous la dénomination de cantons qui appartient à la terre, au lieu de celle de communes qui désigne les hommes ; après avoir marqué la division de la République par la distribution du territoire et des autorités, au lieu de les marquer essentiellement par la distribution des citoyens et des suffrages, on vous propose aujourd'hui de distribuer la population dans les juridictions municipales.

La juridiction municipale n'est point politique, elle administre les choses et non les personnes, voilà les principes; vous ne pouvez diviser la population d'une ville sous le rapport de son administration municipale ; ce serait diviser la société ; vous ne la pouvez diviser que pour l'exercice des suffrages. Il n'y a point de division essentiellement administrative dans une république.

La juridiction municipale ne peut donc point subir de division ; elle est une parce que la voix d'une ville ou d'un bourg est une.

Vous avez déclaré, et vous n'avez point appliqué ce principe, qu'aucune partie du peuple ne pouvait disposer de son territoire ; vous avez déclaré, et vous n'avez point appliqué ce principe, que le souverain tient le premier rang dans l'état et sa division ; et avant de constituer le souverain en unité, vous avez constitué le magistrat en force contre le peuple divisé. Je prévois, par ce que nous avons fait jusqu'à ce jour, quel doit être notre destin. L'autorité, dans chaque département, se constitue en indépendance ; et par l'indépendance de son territoire et par sa rectitude, chaque département aura des représentants distincts, et si la représentation se divise, par le choc des intérêts ou des passions, la République française est dissoute.

Avec quelle facilité le poids du gouvernement en masse n'ecrasera-t-il pas le peuple ainsi épars en petites municipalités ? Vous qui trouvez que le souverain en unité, qu'une disposition fondamentale qui rendait le territoire indivisible et inaliénable, étaient des subtilités, pourquoi laissez-vous attacher l'autorité municipale à des mesures de population sans vous élever contre les subtilités dont on l'appuie ? Vous craignez l'immense population de quelques villes, de celle de Paris ; cette population n'est point redoutable pour la liberté. O vous qui divisez Paris sans le vouloir, vous opprimez ou partagez la France! Que la nation tout entière examine bien ce qui se passe en ce moment. On veut frapper Paris pour arriver jusqu'à elle ; on a dit que cette division de Paris touchait à son intérêt même, et qu'elle fixerait dans son sein les législatures. Cette raison même doit vous déterminer à ne point diviser Paris : si les législatures étaient divisées comme nous, Paris serait bientôt armé contre lui-même. Paris n'est point agité ; ce sont ceux qui le disent qui l'agitent, ou qui s'agitent seuls. L'anarchie n'est point dans le peuple, elle est dans l'amour ou la jalousie de l'autorité.

Paris doit être maintenu, il doit l'être par le bonheur commun à tous les Français, il doit l'être par votre sagesse et votre exemple. Mais quand Paris s'émeut, c'est un écho qui répète nos cris ; la France entière les répète. Paris n'a point soufflé la guerre dans la Vendée ; c'est lui qui court l'éteindre avec les départements. N'accusons donc point Paris, et, au lieu de le diviser et de le rendre suspect à la République, rendons à cette ville en amitié les maux qu'elle a souffert pour nous. Le sang de ses martyrs est mêlé parmi le sang des autres Français ; ses enfants et les autres sont enfermés dans le même tombeau. Chaque département veut-il reprendre ses cadavres et se séparer?

Si vous divisez la population pour diviser l'autorité municipale ou vous allumez une guerre éternelle entre les citoyens, ou, par le dégoût des lois tyranniques, de lois immorales, vous les armez sans cesse contre le gouvernement. La violence du peuple fait tôt ou tard justice des lois déraisonnables et insensées.

Si l'on a prétendu que plusieurs municipalités gouvernaient mieux qu'une dans la même ville, on s'est trompé, je crois. Leurs débats seraient éternels, la répartition des impôts serait dangereuse, et faute d'un centre commun d'harmonie, l'autorité administrative, devenant arbitre, serait trop violente, trop sujette à l'arbitraire, trop corruptible.

Mais si vous venez à examiner l'administration municipale dans sa nature, elle est une administration populaire, paternelle et domestique ; c'est la partie de la législation qui doit être la moins embarrassée ; cette administration est, pour ainsi dire, étrangère au gouvernement. C'est le peuple en famille qui régit ses affaires. « Il ne faut pas diviser les amis », dit Lycurgue. D'ailleurs, cette administration n'a point de rapports étrangers, elle n'influe en rien sur le reste de la République ; et si vous croyez que ceux qui gouvernent les peuples ont aussi leur morale, leurs droits limités, des règles de justice qu'ils ne peuvent enfreindre, vous convenez naturellement que les citoyens d'une même ville ne doivent éprouver l'action du pouvoir suprême que lorsque dans leur administration privée, ils se sont écartés des lois.

Ainsi, pour qu'une ville puisse se régir, il lui faut un centre d'harmonie. Ce centre ne peut être hors d'elle-même ; car, comme je l'ai dit, il n'y a plus alors de liberté, et le peuple est trop assujetti.

Dans une grande république où l'action du gouvernement est pleine de force par l'étendue de ses rapports, quel serait l'assujettissement des villes ainsi partagées ? On me dira que le même inconvénient existe pour les campagnes ; mais je réponds qu'on ne peut opprimer un peuple, si on ne l'opprime tout à la fois, et que les grands rassemblements de population garantissent beaucoup les campagnes. Les villes ne menacent pas plus les cabanes que les montagnes ne menacent les vallées, qu'elles garantissent du tonnerre.

Je réfléchis si l'administration municipale peut être légitimement divisée, car vous ne pouvez point légitimement ce qui est injuste. Elle forme un conseil naturel: ce conseil n'est plus, si les citoyens n'ont point un intérêt commun et ne sont point administrés en commun.

C'est pourquoi j'aurais désiré qu'à la dénomination de municipalité, vide de sens dans la république, on substituât celle de conseil de communauté. Cette dénomination seule avertit les citoyens que ce conseil n'a point d'attribution hors de leurs relations privées ; l'expression municipalité n'a pas un sens précis chez nous.

Je me résume : on a voulu diviser Paris pour tranquilliser le gouvernement, et je pense qu'il faut un gouvernement équitable pour tranquilliser toute la France, et réunir toutes les volontés à la loi, comme les étincelles de la terre s'unissent pour former la foudre. Il ne faut point diviser Paris, ni nous en prendre à lui de nos propres erreurs, et le rendre le prétexte de ces cris éternels. Il faut aller au but et faire le bien ; quelque forme qu'on prenne, on n'en impose point à tout le monde ; il est sans doute quelque homme de génie, dans cet empire, qui apprécie les vues particulières, et les combat avec tranquillité. Je finis en posant ce principe : l'administration municipale n'a point de division légitime dans l'Etat.

Je demande qu'il n'y ait dans les villes qu'une seule municipalité ou conseil de communauté, quelle que soit leur population.


dernière modif : 16 May. 2001, /francais/municip.html