Procès de Paul-Louis Courier


Paul-Louis Courier


Deuxième Réponse aux anonymes


RÉPONSE AUX ANONYMES

QUI ONT ÉCRIT DES LETTRES

A PAUL-LOUIS COURIER, VIGNERON

I

(1822)

Je reçois quelquefois des lettres anonymes : les unes, flatteuses, me plaisent, car j'aime la louange ; d'autres, moqueuses, piquantes, me sont moins agréables, mais beaucoup plus utiles : j'y trouve la vérité, trésor inestimable, et souvent des avis que ne me donneraient peut-être aucun de ceux qui me veulent le plus de bien. Afin donc que l'on continue à m'écrire de la sorte, pour mon très grand profit, je réponds à ces lettres par celle-ci imprimée, n'ayant autre moyen de la faire parvenir à mes correspondants, et répondrai de même à tous ceux qui voudraient me faire part de leurs sentiments sur ma conduite et mes écrits. Un pareil commerce, sans doute, aurait quelques difficultés sous ces gouvernements faibles, peureux, ennemis de toute publicité ; serait même de fait impossible sans la liberté de la presse, dont nous jouissons, comme dit bien M. de Broë, dans toute son étendue, depuis la restauration. Si la presse n'était pas libre, comme elle l'est par la Charte, il pourrait arriver qu'un commissaire de police saisit chez l'imprimeur toute ma correspondance ; qu'un procureur du roi envoyât en prison et l'imprimeur, et moi, et mon libraire, et mes lecteurs. Ces choses se font dans les pays où règne un pouvoir odieux, complice de quelques-uns et ennemi de tous. Mais en France, heureusement, sous l'empire des lois, de la constitution, de la Charte jurée, sous un gouvernement ami de la nation et cher à tout le monde, rien de tel n'est à craindre. On dit ce que l'on pense ; on imprime ce qui se dit, et personne n'a peur de parler ni d'entendre. J'imprime donc ceci, non pour le public, mais pour ces personnes seulement qui me font l'honneur de m'écrire sans me dire leur nom, ni leur adresse.

Paul-Louis Courier, vigneron de la Chavonnière, bûcheron de la foret de Larçay, laboureur de la Filonnière, de la Houssière, et autres lieux, à tous anonymes inconnus qui ces présentes verront, salut :

J'ai reçu la vôtre, signée le trop rusé marquis d'Effiat (125) : elle m'a diverti, instruit, par les curieuses notes qu'elle contient sur l'histoire ancienne et moderne ;

Et la vôtre, timbrée de Béfort, non signée, où vous me reprochez d'une façon peu polie, mais franche, que je ne suis point modeste. M'examinant là-dessus, j'ai trouvé qu'en effet je ne suis pas modeste, et que j'ai de moi-même une haute opinion ; en quoi je puis me tromper, comme bien d'autres. Vous en jugez ainsi à tort et par envie, à ce qu'il me paraît : toutefois l'avis est bon, et, pour en profiter, j'userai des formules dont se couvre l'estime que chacun fait de soi, heureuse invention de nos académies ! Je dirai de mes écrits, qui sont assurément les plus beaux de ce siècle : Faibles productions qu'accueille avec bonté le public indulgent ; et de moi : le premier homme du monde sans contredit, votre très humble serviteur, vigneron, quoique indigne.

Dans celle-ci, venant d'Amiens, sans signature pareillement, vous dites, monsieur, que je serai pendu. Pourquoi non ? D'autres l'ont été, d'aussi bonne maison que moi : le président Brisson, honnête homme et savant, pour avoir conseillé au roi de se défier des courtisans, fut pendu par les Seize, royalistes quand même, défenseurs de la foi, de l'autel et du trône (136). Il demanda, comme grâce, de pouvoir achever, avant qu'on le pendit, son Traité des usages et coutumes de Perse, qui devait être, disait-il, une tant belle oeuvre. Peu de chose y manquait ; c'eût été bientôt fait. Il ne fut non plus écouté que le bon homme Lavoisier (127) depuis, en cas pareil, et Archimede jadis (128). Parmi tous ces grands noms, je n'ose me placer (129), mais pourtant j'ai aussi quelque chose à finir, et l'on va me juger, et je vois bien des Seize. Tout beau, soyons modeste.

Dans la vôtre, monsieur, qui m'écrivez de Paris, vous me dites... voici vos termes : « Je suis de vos amis, monsieur, et comme tel je vous dois un avis. On va vous remettre en prison ; c'est une chose résolue, et je le sais de bonne part, non pas pour votre pétition des villageois qui veulent danser, écrit innocent et bénin, où personne n'a rien vu qui pût offenser le parti régnant. C'est le prétexte tout au plus, l'occasion qu'on cherchait pour vous persécuter, mais non le vrai motif. On vous en veut parce que vous êtes orléaniste, ami particulier du duc d'Orléans. Vous l'avez loué dans quelques brochures, vous êtes du parti d'Orléans. Voilà ce qui se dit de vous, et que bien des gens croient, non pas moi. Je juge de vous tout autrement. Vous n'êtes point orléaniste, ami et partisan du duc : vous n'aimez aucun prince, vous êtes républicain. »

Ce sont vos propres mots. Suis-je donc républicain ? J'ai lu de bons auteurs, et réfléchi longtemps sur le meilleur gouvernement. J'y pense même encore à mes heures de loisir : mais j'avance peu dans cette recherche, et, loin d'avoir acquis par de telles études l'opinion décidée que vous me supposez, je trouve, s'il faut l'avouer, que plus je médite, et moins je sais à quoi m'en tenir ; d'où vient que dans la conversation (et bien des gens m'en font un reproche) aisément je me range, sans nulle complaisance, à l'avis de ceux qui me parlent, pourvu qu'ils aient un avis, et non de simples intérêts, sur ces grandes questions, débattues de nos jours avec tant de chaleur. Je conteste fort peu : j'aime la liberté par instinct, par nature. Je serais républicain avec vous en causant, car vous l'êtes, je le vois bien, et vous m'étaleriez toutes les bonnes raisons qui se peuvent donner en faveur de ce gouvernement. Vous n'auriez point de peine à me gagner : mais bientôt, rencontrant quelqu'un qui me dirait et montrerait par vives raisons qu'il peut y avoir liberté dans la monarchie, s'il n'allait même jusqu'à prétendre (car c'est l'opinion de plusieurs, et elle se peut soutenir) qu'il n'y a de liberté que dans la monarchie, alors je passerais de ce côté, abandonnant la république, tant je suis maniable, docile, doutant de mes propres idées, en tout aise à convertir, pour peu qu'on me veuille prêcher, non forcer.

Et voilà le tort qu'ont avec moi les gouvernants et leurs agents : ils ne causent jamais, ne répondent à rien. Je leur dis qu'il ne faut pas nous faire payer Chambord, et le prouve de mon mieux, assez clairement, ce me semble. Etant d'avis contraire, s'ils daignaient s'expliquer, s'ils entraient en propos, on verrait leurs raisons, et le moindre discours, fondé sur quelque apparence de bon sens, m'amènerait aisément à croire que je me trompe ; qu'acheter Chambord est pour nous la meilleure affaire, et que nous avons de l'argent de reste. On m'a persuadé des choses plus étranges ; mais ils ne répondent mot, et me mettent en prison. Quel argument, je vous prie ? Est-ce là raisonner ? Dès lors plus de doute. J'ai dit la vérité ; j'abonde dans mon sens, et n'en veux pas démordre : ma remarque subsiste. Me voilà convaincu, et le public avec moi, qu'ils ne savent que dire, qu'ils n'ont pas même pour eux de mauvaises raisons ; que, ne voulant s'amender ni s'avouer dans l'erreur, c'est le vrai qui les fâche ; et je triomphe en prison.

Une autre fois je les avertis que de jeunes curés dans nos campagnes, par un zèle indiscret, compromettent la religion, en éloignent le peuple au lieu de l'y ramener. Que font mes gouvernants là-dessus ? Vous croyez qu'ils vont examiner si je dis vrai, afin d'y apporter remède. J'en use de la sorte, et vous aussi, je pense, quand on vous donne quelque avis. Mais des ministres, fi ! ce serait s'abaisser ; ce serait ce qu'à la cour on nomme recevoir la loi des sujets. Sans rien examiner, on me remet en prison (130), et je triomphe encore, comme Wackefield à Newgate : il y mourut. Voici l'histoire :

C'était un homme de bien, fameux par son savoir. Les ministres, voulant augmenter le budget, vantaient l'économie et la gloire, que ce serait à la nation anglaise à payer plus d'impôts qu'aucune de l'Europe. Les impôts, selon eux, ne pouvaient être trop forts. Que l'on ôte à chacun la moitié de son bien, le rapport des fortunes entre elles restant le même, personne n'est appauvri. Si, disaient-ils, une maison s'enfonçait d'un étage ou deux, en gardant son niveau, elle en serait plus solide. Ainsi la réduction de toutes les fortunes au profit du trésor consolidé l'Etat, et cette réduction est une chose en soi absolument indifférente. Oui, bien pour vous, dit Wackefield dans un écrit célèbre alors, pour vous qui habitez le haut de la maison ; mais nous, dans les étages bas, nous sommes enterrés, monseigneur. Ce mot parut séditieux, offensant le roi, la morale, subversif de l'ordre social ; et le bon Wackefield, traduit devant ses juges naturels qui tous dépendaient des ministres, avec un avocat également naturel qui dépendait des juges, son procès instruit dans la forme, s'entendit condamner à trois ans de prison. Il n'y fut pas ce temps : au bout de quelques mois, malade, ses amis, comme il était peu riche, avaient souscrit entre eux pour que sa femme et ses enfants pussent loger près de la prison ; mais l'autorité s'y opposant au nom de l'ordre social, il mourut sans secours, sans consolation, moins à plaindre que ceux qui le persécutaient ; car il avait pour lui l'approbation publique, l'assurance d'avoir bien dit et bien fait. Mais ils vécurent eux, dévorés de soucis, de rage ambitieuse, ou se coupèrent le cou, las de mentir, de tromper, d'augmenter le budget, et de faire curée des entrailles du peuple à de lâches courtisans.

Ainsi périt Wackefield pour une seule parole. Rien n'est si dangereux que de parler à ceux qui sont forts et veulent de l'argent : c'est la bourse à la main qu'il faut répondre. Eh bien ! connaissant ces exemples, que n'en profitiez-vous ? De semblables leçons devaient vous rendre sage, même avant celle que vous avez eue en votre personne ; voilà ce qu'on me dit. Pourquoi écrire enfin ? et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer ? Ne sauriez-vous vous taire, et, comme dit Boileau, imiter de Conrart le silence prudent ? Ce Conrart bel esprit, par principe de conduite, parlait peu et n'écrivait point ; il réussit dans le monde, et fut de l'Académie : car alors aussi on faisait académiciens ceux qui n'écrivaient point, sans toutefois mettre en prison ceux qui écrivaient. Vous, Paul-Louis, vous deviez être non seulement prudent, mais muet, afin, sinon de parvenir à l'Académie, de vivre en paix du moins. Il fallait vous tenir coi, tailler votre vigne, non votre plume ; vous faire petit, ne bouger, de peur d'être le moins du monde aperçu, entendu. On vous guettait, vous le voyez ; on ne vous pardonnera pas. Pourquoi cela, monsieur l'anonyme, s'il vous plait ? On a bien pardonné à M. Pardessus (131). Mais écoutez encore, avant que je réponde, écoutez ce récit, qui ne vous tiendra guère.

Un écrivain célèbre en Angleterre, auteur d'un des meilleurs ouvrages que l'on ait jamais fait, l'auteur de Robinson, Daniel de Foe, publia un écrit tendant à insinuer que les dépenses de la cour étaient considérables. Aussitôt les ministres le livrent à leurs juges. On le mit en prison, il écrivit encore, on le mit au carcan. Ses amis le blâmaient ; mais il leur répondit : Il ne dépend pas de moi de parler ou de me taire ; et lorsque l'esprit souffle, il faut lui obéir. C'était le langage du temps. On tirait tout de l'Ecriture, comme à présent de Jean-Jacques. On parlait la Bible, aujourd'hui on parle Rousseau. Un abbé met en pièces Emile, pour prêcher aux indifférents en matière de religion (132).

Quant à moi, ce n'est pas l'esprit, c'est la sottise qui me fait aller en prison. J'ai cru bonnement à la Charte ; j'ai donné dans la Charte en plein, je le confesse, à ma très grande honte ; et pourtant de plus fins y ont été pris comme moi. De ma vie, sans la Charte, je n'eusse imaginé de parler au public de ce qui l'intéresse. Robespierre, Barras et le grand Napoléon, depuis plus de vingt ans, m'avaient appris à me taire : Bonaparte surtout ; ce héros ne trompait pas. Il ne nous baillait pas le lièvre par l'oreille, jamais ne nous leurra de la liberté de la presse ni d'aucune liberté. Un peu Turc dans sa manière, il mettait au bagne ce bon peuple, mais sans l'abuser le moins du monde ; et ne nous cacha point sa royale pensée, qui fut toujours d'avoir en propre nos corps et nos biens seulement. Des âmes, il en faisait peu de cas : ce n'est que depuis lui qu'on a compté les âmes. Voulant parler tout seul, il imposa silence à nous premièrement, puis à l'Europe entière, et le monde se tut : personne ne souffla, homme ne s'en plaignit ; ayant cela de commode, qu'avec lui on savait du moins à quoi s'en tenir. J'aime cette façon, et j'ai tâté de l'autre. La Charte vint, on me dit : Parlez, vous êtes libre, écrivez, imprimez ; la liberté de la presse et toutes libertés vous sont garanties. Que craignez-vous ? Si les puissants se fâchent, vous avez le jury et la publicité, le droit de pétition ; vos députés à vous, élus, nommés par vous. Ils ne souffriraient pas que l'on vous fasse tort. Parlez un peu pour voir ; dites-nous quelque chose. Moi pauvre, qui ne connaissais pas le gouvernement provocateur, pensant que c'était tout de bon, j'ouvre la bouche, et dis : Je voudrais, s'il vous plaisait, ne pas payer Chambord. Sur ce mot, on me prend, on me met en prison. Sorti, je ne pus croire, tant j'étais de mon pays, qu'il n'y eût à cela quelque malentendu. Ils m'auront mal compris, me disais-je, assurément. Un peu de sens commun (chose rare !) eut suffi pour me tirer d'erreur : mais, imbu de ma Charte et de mes garanties, persuadé qu'on m'écouterait sans mauvaise humeur, cette fois je hasarde une autre requête. Si c'était, dis-je, tenant mon chapeau à deux mains, si c'était votre bon plaisir de nous laisser danser devant notre logis le dimanche... Gendarmes, qu'on le mène en prison ; maximum de la peiné, amende, etc. Du jury, point de nouvelles ; droit de pétition, chansons ; mes députés, ils sont à moi comme mon préfet à peu près. La publicité des jugements ; savez-vous, monsieur, ce que c'est ? Mes ennemis pourront, s'ils le jugent à propos, imprimer ma défense dans des feuilles à eux, me faire dire cent sottises ; à eux il est permis de déduire mes raisons comme ils veulent au public ; à moi, à mes amis, défendu d'en dire mot, de réfuter, de démentir en aucune façon les réponses absurdes et les impertinences qu'il leur aura plu de m'attribuer. Voilà ce que je gagne à la publicité des débats judiciaires. Heureux, cent fois heureux, ceux que Laubardemont faisait condamner à huis clos, par ordre de Son Eminence ! (133) ils étaient opprimés, mais non déshonorés.

Ce langage est monarchique, de tels sentiments ne sont point du tout républicains ; et si je me contente, en pareille matière, des formes usitées sous ce grand cardinal, je ne suis pas si Romain que vous l'imaginez. Sur quel fondement ? je ne sais, et ne devine pas davantage ce qui vous a pu faire croire que je n'aimais ni le duc d'Orléans, ni aucun prince. Assurément rien n'est plus loin de la vérité. J'aime, au contraire, tous les princes, et tout le monde en général ; et le duc d'Orléans particulièrement (voyez comme vous vous trompiez), parce qu'étant né prince il daigne être honnête homme. Du moins n'entends-je point dire qu'il attrape les gens. Nous n'avons, il est vrai, aucune affaire ensemble, ni pacte, ni contrat. Il ne m'a rien promis, rien juré devant Dieu ; mais, le cas avenant, je me fierais à lui, quoiqu'il m'en ait mal pris avec d'autres déjà. Si faut-il néanmoins se fier à quelqu'un. Lui et moi nous n'aurions, m'est avis, nulle peine à nous accommoder ; et l'accord fait, je pense qu'il le tiendrait sans fraude, sans chicane, sans noise, sans en délibérer avec de vieux voisins, gentilshommes et autres, qui ne me veulent point de bien, ni en consulter les jésuites. Voici ce qui me donne de lui cette opinion. Il est de notre temps, de ce siècle-ci, non de l'autre, ayant peu vu, je crois, ce qu'on nomme ancien régime. Il a fait la guerre avec nous, d'où vient, dit-on, qu'il n'a pas peur des sous-officiers : et depuis, émigré malgré lui, jamais ne la fit contre nous, sachant trop ce qu'il devait à la terre natale, et qu'on ne peut avoir raison contre son pays. Il sait cela, et d'autres choses qui ne s'apprennent guère dans le rang où il est. Son bonheur a voulu qu'il en ait pu descendre, et, jeune, vivre comme nous. De prince, il s'est fait homme. En France, il combattait nos communs ennemis ; hors de France, les sciences occupaient son loisir. De lui n'a pu se dire le mot : Rien oublié ni rien appris. Les étrangers l'ont vu s'instruire, et non mendier. Il n'a point prié Pitt ni supplié Cobourg de ravager nos champs, de brûler nos villages, pour venger les châteaux ; de retour, n'a point fondé des messes, des séminaires, ni doté des couvents à nos dépens ; mais, sage dans sa vie, dans ses moeurs, donne un exemple qui prêche mieux que les missionnaires. Bref, c'est un homme de bien. Je voudrais, quant à moi, que tous les princes lui ressemblassent ; aucun d'eux n'y perdrait, et nous y gagnerions : ou je voudrais qu'il fut maire de la commune ; j'entends, s'il se pouvait (hypothèse toute pure), sans déplacer personne ; je hais les destitutions. Il ajusterait bien des choses, non seulement par cette sagesse que Dieu a mise en lui, mais par une vertu non moins considérable et trop peu célébrée : c'est son économie, qualité si l'on veut bourgeoise, que la cour abhorre dans un prince, et qui n'est pas matière d'éloge académique, ni d'oraison funèbre ; mais pour nous si précieuse, pour nous administrés, si belle dans un maire, si... comment dirai-je ? divine qu'avec celle-là je le tiendrais quitte quasi de toutes les autres.

Lorsque j'en parle ainsi, ce n'est pas que je le connaisse plus que vous, ni peut-être autant, ne l'ayant même jamais vu. Je ne sais que ce qui se dit ; mais le public n'est point sot, et peut juger les princes, car ils vivent en public. Ce n'est pas non plus que je veuille être son garde-champêtre, au cas qu'il devienne maire. Je ne vaux rien pour cet emploi, ni pour quelque autre que ce soit : capable tout au plus de cultiver ma vigne, quand je ne suis pas en prison. J'y serais, je crois, moins souvent ; mais cela même n'étant pas sûr, je puis dire que tout changement dans la mairie et les adjoints, pour mon compte, m'est indifférent. Au reste, ce qu'on pense de lui généralement, vous l'avez pu voir ou savoir ces jours-ci, lorsqu'il parut au théâtre avec sa famille. On ne l'attendait pas ; l'asssemblée n'était point composée, préparée comme il se pratique pour les grands. C'était bien là le public, et il n'y avait rien que l'on put soupçonner d'être arrangé d'avance. La police n'eut point de part aux marques d'affection qui lui furent données en cette occasion ; ou si de fait elle était là comme on le peut croire aisément, partout invisible et présente, ce n'était pas pour accueillir le duc d'Orléans. Il entra, on le vit ; et les mains et les voix applaudirent de toutes parts. On n'a point mis, que je sache, le parterre en jugement, ni traduit l'assemblée à la salle Saint-Martin (134). Aussi ne crois-je pas, moi qui l'ai loué moins haut de ce qu'il a fait de louable, que ce soit pour cela qu'on me réemprisonne. Mais vous pouvez être là-dessus beaucoup mieux instruit.

Ainsi, contre votre opinion, monsieur, j'aime le duc d'Orléans ; mais son ami, je ne le suis pas, comme ces gens le croient, dites-vous. A moi tant d'honneur n'appartient ; et, sans vouloir examiner (ce dont on a doute quelquefois) si les princes ont des amis, ou si lui, moins prince qu'un autre, ne pourrait pas faire exception, je vous dirai que j'ai toujours ri de Jean-Jacques Rousseau, philosophe, qui ne put souffrir ses égaux, ni s'en faire supporter, et en tout sa vie crut n'avoir eu d'ami que le prince de Conti.

Bien moins suis-je son partisan ; car il n'a point de parti, premièrement. Le temps n'est plus où chaque prince avait le sien, et jamais je ne serai du parti de personne. Je ne suivrai pas un homme, ne cherchant pas fortune dans les révolutions, contre-révolutions, qui se font au profit de quelques-uns. Né d'abord dans le peuple, j'y suis resté par choix. Il n'a tenu qu'à moi d'en sortir comme tant d'autres qui, pensant s'ennoblir, de fait ont dérogé. Quand il faudra opter suivant la loi de Solon, je serai du parti du peuple, des paysans comme moi.

Accusez réception, s'il vous plaît, de la présente.



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Paul-Louis Courier


Deuxième Réponse aux anonymes


dernière modif : 03 Jun. 2001, /francais/plc/anonymes1.html