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Jean-Paul Marat |
Pour que le peuple veuille jouir de ses droits, il faut qu'il les connaisse; il s'agit donc de l'instruire. Pour qu'il ne soit pas pris aux pièges qu'on lui tend, il faut qu'il les aperçoive, il s'agit donc de l'éclairer. Il suit de là que le plus grand malheur qui puisse lui arriver est de s'abandonner aveuglément à ses chefs et de s'endormir dans les bras des ennemis, qui cherchent à l'entraîner dans l'abîme. Le tenir sans cesse en agitation, faire fermenter toutes les têtes jusqu'à ce que le gouvernement soit fondé sur des lois vraiment justes, est donc le grand but que doivent se proposer ses défenseurs. Ainsi la liberté de la presse est le grand ressort, l'unique boulevard de la liberté civile et politique. C'est aux lumières de la philosophie que nous devons la révolution, c'est aux lumières des écrivains patriotes que nous devons son triomphe. Tant que la liberté de la presse existera, nous sommes sûrs de vaincre. Vouloir nous l'enlever serait le plus criminel des attentats. Si donc l'Assemblée nationale s'oubliait jusqu'à essayer d'y porter atteinte, il ne faudrait pas balancer un instant à se soulever contre elle et à la punir de sa trahison ; mais de quel front oserait-elle la limiter, lorsqu'elle souffre chaque jour que ses membres gangrenés prêchent dans son sein la contre-révolution, la révolte contre la déclaration des droits et le rétablissement de l'esclavage ?
Lorsqu'un peuple vient de rompre ses fers, il n'est pas libre pour cela; le despotisme est bien écrasé, mais le despote existe encore; or, il est fort rare, pour ne pas dire inouï, qu'il ne reste pas à la tête de l'Etat et que ses suppôts ne conservent pas de grands avantages. C'est donc presque uniquement des membres de l'ancien régime que se forme le nouveau. Que si le gouvernement essuie une refonte générale et que le peuple ait des mandataires, le prince, qui ne songe qu'à recouvrer le pouvoir absolu, travaille bientôt à les corrompre, et il n'y réussit que trop souvent.
Le peuple est mauvais appréciateur des choses, il les voit rarement telles qu'elles sont, plus rarement encore il en embrasse la totalité, et presque jamais il ne calcule les suites des événements; c'est l'effet de son manque de lumières. Obtient-il quelque avantage, remporte-t-il quelque victoire ? Il présume de ses forces, ne voit plus les obstacles, il chante son triomphe, se berce d'illusions trompeuses, et cela ne peut être autrement car la présomption est enfant de l'amour-propre et de l'ignorance. Pour que le peuple ne soit pas remis sous le joug, il est nécessaire qu'il soit toujours en garde contre ses chefs et toujours en état de les apprécier à leurs oeuvres. Mais la liberté n'est pleinement assuré que lorsque l'esprit public est formé, c'est à dire lorsque le peuple connaît ses droits et ses devoirs, qu'il a une idée des hommes, des passions qui les font mouvoir, qu'il a l'opinion qu'il doit avoir des agents de l'autorité, qu'il pénètre leurs desseins et qu'il s'aperçoit des pièges qu'ils lui tendent; c'est le point où les écrivains publics doivent s'efforcer d'amener la nation.
Le peuple ne s'instruit que par ses malheurs, et toujours il se jette dans les extrêmes. S'il se défie des ministres, c'est pour s'abandonner à ses représentants qu'il porte aux nues comme des dieux : or, c'est cet état d'abandon servile qui est la source féconde de leurs attentats; ils trembleraient s'il les surveillait d'un oeil inquiet, ils osent tout contre lui, lorsqu'ils le voient les encenser stupidement. Certes, j'ai fait l'impossible pour qu'il prît, dès le commencement, une idée juste de ses indignes députés à l'Assemblée nationale; mais à force de le prêcher et de lui montrer leurs noirs desseins, leurs perfidies, leurs trahisons, il a enfin ouvert les yeux; le respect religieux qu'il avait pour eux s'est changé en mépris, et il ne tiendra pas à moi qu'ils ne partent couverts d'opprobres Il importe donc de lui graver dans l'esprit ces grandes vérités : les seuls mandataires du peuple qui mettent leur gloire à faire son bonheur peuvent lui être fidèles, et ils sont en très petit nombre; quant aux autres, ils trafiquent de ses droits et de ses intérêts, dès qu'ils le peuvent impunément; il suit de là qu'il doit avoir éternellement les yeux sur eux comme sur des fripons, ne jamais les flagorner et attendre qu'ils soient au bout de leur mission pour les juger et leur payer le juste tribut d'estime ou de mépris qu'ils auront mérité.
Lorsque l'esprit public sera formé, le peuple sentira que son bonheur dépend du choix de ses mandataires, et il repoussera avec horreur des élections tous ces huissiers, ces exempts, ces procureurs, ces commissaires, ces avocats, ces académiciens, ces robins, ces financiers, ces jadis nobles, ces courtisans, en un mot ces suppôts de l'ancien régime, pour ne faire tomber son choix que sur des citoyens éclairés et intègres; il révoquera les lois vicieuses qui menaçent la liberté pour les remplacer par de sages lois qui la mettent hors d'atteinte des agents du pouvoir, et il se ménagera des moyens constitutionnels de réprimer ceux qui ne rempliront pas loyalement leurs devoirs, et de punir ceux qui auraient prévariqué.
Ce n'est qu'à force de malversations, que les agents du pouvoir parviennent à révolter le peuple, à lui faire sentir la nécessité de les mettre hors d'état de lui nuire. Grâce à l'esprit de vertige qui règne dans le cabinet, le despotisme tire à sa fin. On dirait que les ministres ont formé le projet insensé de renverser eux-mêmes le trône; ils font faire de mauvais décrets, ils s'opposent aux bons, ou ils en retardent la promulgation; ils dissipent les deniers publics, ils continuent d'accaparer les grains et le numéraire, d'affamer le peuple, de le réduire à la misère, de lâcher des lettres de cachet, de soulever des provinces, de pousser la multitude opprimé à la révolte; leurs noirs complots, leurs trames, leurs conjurations, leurs trahisons n'ont point de terme; ils éludent les lois, ils se jouent de la Constitution et semblent braver la nation elle-même. Tant Mieux ! ils achèvent de mettre le comble à leurs forfaits; bientôt la nation ouvrira les yeux, et, convaincu qu'il est impossible de corriger les valets du prince, elle prendra enfin le sage parti de les anéantir. Et de quoi sert aujourd'hui le prince dans l'Etat, qu'à s'opposer à la régénération de l'empire, au bonheur de ses habitants ?
Pour l'homme sans préjugé, le roi des Français est moins qu'une cinquième roue à un char, puisqu'il ne peut que déranger le jeu de la machine politique. Puissent tous les écrivains patriotes s'empresser de faire sentir à la nation que le meilleur moyen d'assurer son repos, sa liberté et son bonheur est de se passer de la couronne.
Aveugles et lâches citoyens, vous touchez au moment de votre ruine. Les malheurs affreux dont vous allez être accablés sont les suites infaillibles de la perfidie de vos ennemis implacables, les suites inévitables de votre stupide sécurité, de votre funeste confiance; vous êtes trahis par tous vos mandataires; vous n'êtes environnés que de factieux, de conjurés, de conspirateurs. Depuis l'ouverture des Etats, les ministériels, les courtisans, les calotins, les robins, les juristes soudoyés et les militaires serviles du Sénat national machinent contre vous, vous bercent d'un fantôme de liberté, refusent à vos voeux une haute cour composée de patriotes, qui auraient purgé le royaume des traîtres de la nation. Déjà ils ont enchaîné le peuple par la loi martiale, et les soldats de la patrie, par le décret qui leur fait un devoir de forcer à main armée l'exécution des lois tyranniques, en attendent qu'ils aient achevé de remettre entre les mains du roi tous les ressorts du gouvernement. Déjà, pour remplir les coffres du prince, ils se sont emparés du bien de l'Eglise, on plutôt du bien des pauvres; déjà, pour ôter aux citoyens tout moyen de défense, ils en ont arraché une contribution du quart des revenus; déjà, pour s'assurer des rentiers, ils ont exempts de tout impôt leurs capitaux; déjà, pour s'assurer de l'armée, ils ont assuré une pension de retraite aux soldats et sous-officiers. Tandis que le monarque et ses suppôts remplissent tous les corps administratifs, tous les tribunaux de créatures de la cour; tandis que le général contre-révolutionnaire parisien a rempli de jadis nobles, de robins, de courtisans, d'escrocs, de banqueroutiers, de chenapans, d'espions, tous les états-majors de toutes les places d'officiers supérieurs des gardes nationales du royaume entier, et qu'il a tout employé pour composer les légions de la patrie de satellites de l'ancien régime, pour asservir par la vanité les soldats-citoyens. Mais que dis-je ? Déjà les prélats et les bénéficiers se sont ouvertement révoltés contre la Constitution, et le roi s'est mis à leur tête, en refusant de sanctionner le décret de la constitution civile du clergé. Déjà le frère de l'Autrichien rassemble de nombreuses armées sur nos frontières; l'Espagnol, le Napolitain, le Savoyard imitent cet exemple. Déjà, les fugitifs et les mécontents de la réforme des abus, les satellites soudoyés, sous les ordres des deux Capets réfugiés à Turin, viennent de tenter une expédition contre l'une de nos places frontalières, et n'attendent plus que le moment d'entrer en campagne.Ce n'est tout, la fuite de la famille royale est concertée de nouveau. C'est toujours à Metz et sous la protection de l'anti-révolutionnaire Bouillé que le monarque doit aller se mettre à la tête des ennemis de la liberté pour tenter une contre-révolution. Tous les receveurs généraux vont s'y rendre pour vider leurs caisses dans les coffres du roi; plusieurs d'entre eux sont déjà en route. On travaille sans relâche à mettre en état de défense toutes les places de la Lorraine, de la Flandre et de l'Alsace, non pas contre les Autrichiens, mais contre les soldats de la patrie; de sorte que le despote et ses suppôts auront mille forts pour s'y retrancher contre la nation et machiner sa ruine.
L'alarme est générale d'un bout à l'autre du royaume, tous les bons patriotes voient que leur perte est jurée. Citoyens, quel parti prenez-vous pour votre défense ? Mille projets divers ont été discutés tour à tour; mais c'est en vain que vous joindriez un million de gardes nationaux à l'armée de ligne; quand vous auriez pour défrayer ces nombreuses légions les trésors qu'on vous a enlevés, n'en doutez pas, cette armée immense serait trahie et livrée au fer de l'ennemi par ses chefs au mépris de leurs éternels serments. Quelle confiance pourriez-vous avoir en de bas courtisans et de vils suppôts et du despotisme, élevés à la perfidie, faisant métier de trahison ? Ils vous vendraient en vous jurant fidélité sur l'autel de la patrie. Souvenez-vous de leur serment civique tant de fois renouvelé, violé. Mais pourquoi rassembler de nombreuses armées sur les frontières, pourquoi lever des impôts pour fournir à leurs entretiens, lorsque vous pouvez étouffer, en un instant, tous les complots contre la patrie et les empêcher de renaître jamais ? Non, ce n'est pas sur les frontières, c'est dans la capitale qu'il faut frapper les coups. Cessez de perdre le temps à imaginer des moyens de défense; il ne nous en reste qu'un seul, celui que je vous ai déjà recommandé.
On vous a fait jurer fidélité à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout votre pouvoir la Constitution. Je me suis trop souvent élevé contre cette formule sacramentelle qui métamorphose les Français en serviles adorateurs des décrets bons ou mauvais de nos pères conscrits, et qui ne peut convenir qu'à des esclaves, pour que je veille l'adopter. Quelque prévenus que vous puissiez être, vous allez convenir de la force irrésistible de mes raisons.Un citoyen éclairé ne peut être fidèle qu'à la nation, et il ne doit lui être fidèle que parce qu'il en fait partie, c'est à dire parce qu'il trouve un bien particulier dans le bien général.
Un citoyen honnête doit obéissance aux lois, mais il ne doit obéissance qu'autant qu'elles sont justes et sages.
Un citoyen libre et judicieux sait qu'il ne doit au roi que des égards, parce qu'il n'est qu'un fonctionnaire public. Comment lui devait-il une fidélité suppose toujours empire, d'une part, et, de l'autre part, soumission ?...
Je jure sur les autels de la vérité que la justice et la liberté seront toujours mes déesses favorites, comme elles le furent toujours.
Je jure de toujours regarder la patrie comme une mère, d'avoir pour elle toute la tendresse d'un fils, de consacrer à son service toutes les facultés de mon corps et de mon âme, de la défendre au péril de ma vie, et s'il le faut, de m'immoler à son salut.
Je jure de respecter jusqu'à mon dernier soupir les seuls décrets de l'Assemblée nationale qui sont conformes à la déclaration des droits, seul fondement légitime de la Constitution, de maintenir ceux qui n'y portent point atteinte, de fouler aux pieds ceux qui la renversent, et de ne prendre aucun repos qu'ils ne soient révoqués.
Je jure de dénoncer au peuple tout fonctionnaire public négligeant ses devoirs, infidèle ou malversateur, et de dévoiler au grand jour les turpitudes de sa vie, jusqu'à ce qu'il soit expulsé ou puni.
Je jure de dévoiler publiquement tout projet de machination contre le bien public, d'invoquer la rigueur des lois contre ses coupables auteurs, fussent-ils mes parents les plus chers, mes meilleurs amis.
Je jure de ne jamais sacrifier les droits du peuple aux dépositaires de l'autorité, et de mourir plutôt de faim que de leur vendre ses intérêts.
Enfin, je jure de mettre ma gloire à instruire le peuple de ses droits, à lui souffler l'audace de les défendre, et à le fouailler chaque jour jusqu'à ce qu'il les ait recouvrés.
Mes chers concitoyens, si vous aviez senti vos droits et connu vos devoirs, vous auriez prêté ce serment au lieu de balbutier comme des perroquets celui que vous a dicté la majorité traîtresse de l'Assemblée nationale. N'en doutez pas, si vous aviez eu assez de lumières et de vertus pour n'en prêter aucun, dès cet instant les valets de la cour, les ex-nobles, les prélats, les robins, les financiers, les officiers de l'armée, les pensionnaires royaux, en un mot les suppôts de l'ancien régime, se seraient enterrés tout vivants, s'ils n'avaient pu prendre la fuite; la liberté se serait établie d'elle-même au milieu de vous; pour la défendre, vous n'auriez besoin ni de plume ni de baïonnettes, et la justice, la paix, l'abondance, le bonheur régneraient aujourd'hui dans vos murs.
Que de veilles, de soins, de peines, de fatigues, de combats avant d'en jouir un jour ! N'allez pas toutefois perdre courage, malgré les machinations éternelles de vos ennemis, le salut public n'est pas désespéré, pourvu que vous soyez sur vos gardes et que vous ne vous laissiez pas endormir. Quant à vous, malgré l'humeur que vous me donnez souvent par votre apathie, votre aveuglement, je ne cesserai de vous prêcher et vous stimuler que vous ne soyez libres et heureux.
Peuple rends grâce aux dieux ! ton plus redoutable ennemi vient de tomber sous la faux du Parque. Riquetti n'est plus; il meurt victime de ses nombreuses trahisons, victime de ses trop tardifs scrupules, victime de la barbare prévoyance de ses complices atroces, alarmés d'avoir vu flottant le dépositaire de leurs affreux secrets.Frémis de leur fureur et bénis la justice céleste. Mais, que vois-je ? Des fourbes adroits, dispersés dans les groupes, ont cherché à surprendre ta pitié, et déjà dupe de leurs faux discours, tu regrettes ce perfide comme le plus zélé de tes défenseurs; ils t'ont représenté sa mort comme une calamité publique, es tu te pleures comme un héros qui s'est immolé pour toi, comme le sauveur de la patrie. Seras-tu donc toujours sourd à la voix de la prudence, et perdras-tu toujours la chose pnblique par ton aveuglement ? La vie de Riquetti fut souillée de mille forfaits; qu'un sombre voile en couvre désormais le honteux tissu, puisqu'il ne peut plus te nuire, et que leur récit ne scandalise plus les vivants. Mais garde-toi de prostituer ton encens, garde tes larmes pour tes défenseurs intègres; souviens-toi qu'il était l'un des valets nés du despote, qu'il ne fronda la cour que pour capter tes suffrages, qu'à peine nommé aux états pour défendre tes intérêts sacrés, il lui vendit les droits les plus sacrés; qu'après la chute de la Bastille, il se montra le plus ardent suppôt du monarchisme; qu'il abusa cent fois de ses talents pour replacer dans les mains du monarque tous les ressorts de l'autorité; que c'est à lui que tu dois tous les funestes décrets qui t'ont remis sous le joug et qui ont rivé tes fers - celui de la loi martiale, celui du véto suspensif, celui de l'initiative de la guerre, celui de l'indépendance des délégués de la nation, celui du marc d'argent, celui du pouvoir exécutif suprême, celui de la félicitation des assassins de Metz, celui de l'accaparement du numéraire par de petits assignats, celui de la permission d'émigrer accordée aux conspirateurs, etc... Jamais il n'éleva la voix en faveur du peuple que dans les cas de nulle importance. Après l'avoir trahi mille fois consécutives, un seul jour, depuis la journée des poignards, il refusa de tremper dans une nouvelle conspiration, et ce refus devint pour lui l'arrêt de sa mort.
Voila donc les pères conscrits se constituant, sans pudeur, arbitres de la renommée et distributeurs d'immortalité. Non contents d'avoir usurpé les droits de la génération présente ils usurpent encore les droits des générations futures, ce ne sera donc plus à l'histoire à juger les morts, ni à la postérité à fixer les réputations ; ainsi l'ont décidé les faiseurs de décrets et, pour montrer ce qu'on doit attendre de la sagesse de leurs décisions, c'est à un homme sans moeurs, sans probité, sans âme; à un homme qui trafiqua perfidement des droits et des intérêts de la nation avec le monarque, et qui n'employa ses talents qu'à tromper le peuple qu'ils décernent la première place dans le temple du civisme, où doivent être placées les images des bienfaiteurs de la patrie !------------
(1) Un décret venait de décider la translation au Panthéon
des cendres de Mirabeau, Descartes, Voltaire, Desilles.
Parmi les grands hommes auxquels la France a donné le jour et qui ont bien mérité de leur pays, il en est plusieurs qui honoraient l'humaine nature. Tels étaient Belzunce, ce digne évêque de Marseille qui, tout le temps que la peste ravagea la ville, soigna de ses mains, les malades que les médecins avaient abandonnés; Sully... Catinat... Villars... Montesquieu...
Au lieu de ces grands hommes qui auraient justifié la bonté de leur choix, les pères conscrits ont accordé les honneurs de l'apothéose à un Descartes, rêveur fameux par les écarts de son imaginative, et dont le nom est fait pour le pays des chimères ! à un Voltaire, adroit plagiaire, qui eut l'art d'avoir l'esprit de tous ses devanciers, et qui ne montra d'originalité que dans la finesse de ses flagorneries, écrivain scandaleux qui pervertit la jeunesse par les leçons d'une fausse philosophie, et dont le coeur fut le trône de l'envie, de l'avarice, de la malignité, de la vengeance, de la perfidie et de toutes les passions qui dégradent la nature humaine ! à un martyr prétendu de la liberté et vrai suppôt du despotisme, dont la mort fut la suite d'une présomption d'étourdi, au lieu d'être un généreux sacrifice au bonheur de la patrie !
Bien mériter de la patrie, c'est lui consacrer ses lumières, ses travaux, ses veilles, sa liberté, ses jours; c'est lui faire de grands sacrifices en ne cherchant d'autre récompense que le plaisir et la gloire de la servir, et non tirer avantage des choses qui tendent au bien commun. Ainsi, le philosophe qui éclaire la nation sur ses droits, le législateur qui lui donne de bonnes lois, le magistrat qui les fait exécuter avec intégrité, l'orateur courageux qui épouse avec zèle la défense des opprimés, le guerrier qui expose sa vie pour repousser l'ennemi, le négociant généreux qui ramène l'abondance dans les temps de disette; voilà les bienfaiteurs de la patrie, et non le citoyen qui s'enrichit ou se distingue à faire fleurir les lettres, les arts, les sciences et non le citoyen qui fait la guerre pour s'avancer en grade et cueillir les lauriers...
Si cet établissement subsiste, il servira aussi de réceptacle à la tourbe académique moderne, aux fonctionnaires publiques qui auront joué un rôle principal, aux valets de la cour qui auront mené la bande; et nous y verrons déposer avec pompe effigie d'un Motier, d'un Bailly, d'un Bouillé, d'un Buffon, d'un Réaumur, d'un la Caille.
Enfin il servira de réceptacle à tous les petits ambitieux ayant de la fortune, dont ils priveront leurs héritiers pour la léguer à quelque intrigant qui s'engagera de leur procurer une niche. Aussitôt les cabales agiteront le Sénat; l'intrigue seule ouvrira les portes du temple de l'immortalité, et la récompense des vertus civiques sera le prix de l'adulation, des bassesses, d'une bourse d'or ou des faveurs d'une catin, comme les places à l'Académie.
Alors arriveront en foule la canaille sénatoriale et la canaille académique; alors seront placées au rang des bienfaiteurs de la patrie des fripons engraissés du sang des peuples pour la trahir; alors les Emmery, les Chapelier, les Target, les Touret, les Tronchet, les Condorcet, les Pastoret, les Malouet, les Dandré, les Regnier, les Desmeuniers, les Pugnon, les Voidel seront mis au nombre des grands hommes.
Cet honneur, après lequel ils soupirent, ferait le désespoir d'une grande âme, et quel homme intègre pourrait consentir à ce que sa cendre reposat avec celle de pareils confrères ? Rousseau et Montesquieu rougiraient de se voir en si mauvaise compagnie, et l'Ami du peuple en serait inconsolable.
Si jamais la liberté s'établissait en séance, et si jamais quelque législature, se souvenant de ce que j'ai fait pour la patrie, était tentée de me décerner une place dans Sainte-Geneviève je proteste ici hautement contre ce sanglant affront; oui, j'aimerais mieux cent fois ne jamais mourir que d'avoir à redouter un aussi cruel outrage.
Léopold et Gustave pressaient Louis XVI de fuir ! L'Autrichienne supplie à genoux Motier de faire les derniers efforts. Le traître fait courir les espions de l'état-major. L'Ordre est donné aux sergents-majors de la troisième division de choisir dans les bataillons les officiers et les soldats les plus gangrenés parmi ceux qui ont fait serment d'obéissance aveugle; on leur prodigue l'or à pleines mains; et cette fois, pour le malheur de la patrie, le crime est couronné de succès; les chefs des conspirateurs et l'Autrichienne entraînent roi vers le camp des ennemis : la nuit dernière, Louis XVI, en soutane a pris la fuite avec le dauphin, Monsieur et le reste de sa famille. Ce roi parjure, sans foi, sans pudeur, sans remords, ce monarque indigne du trône n'a pas été retenu par la crainte de passer pour un infâme. La soif du pouvoir absolue qui dévore son âme le rendra bientôt assassin féroce, bientôt il nagera dans le sang de ses concitoyens qui refuseront de se soumettre à son joug tyrannique. En attendant, il rit de la sottise des Parisiens qui se sont stupidement reposés sur sa parole.Citoyens, la fuite de la famille royale est préparée de longue main par les traîtres de l'Assemblée nationale, et surtout par les comités des recherches et des rapports. Pour ménager des intelligences entre les commandants contre-révolutionnaires de l'Alsace, de la Lorraine avec les armées des Capet fugitifs et les Autrichiens, il fallait écraser le parti patriotique. Aussi ces infâmes comités vous en ont-ils perpétuellement imposé sur les auteurs des troubles d'Haguenau, de Colmar, de Wissembourg, etc. Pour mieux vous tromper, il n'y a sorte de faux que n'aient commis Broglie, Regnier, Noailles, Voidel et autres scélérats vendus. C'est donc l'Assemblé nationale elle-même qui a préparé la réussite de l'invasion de ces provinces, ou plutôt qui a ouvert le royaume aux ennemis par les frontières. Tandis que le général parisien par ses machinations pour composer d'ennemis de la révolution les états-majors de tous les départements, et par les intelligences criminelles qu'il s'est ménagées par des espions et au dedans et au dehors, a tant fait pour paralyser les forces nationales et les mettre dans les mains du roi.
Citoyens, amis de la patrie, vous touchez au moment de votre ruine. Je ne perdrai pas le temps à vous accabler de vains reproches sur les malheurs que vous avez attirés sur vos têtes, par votre aveugle confiance, votre fatale sécurité. Ne songeons qu'à votre salut.
Un seul moyen vous reste pour vous retirer du précipice où vos indignes chefs vous ont entraînés, c'est de nommer à l'instant un tribun militaire, un dictateur suprême pour faire main basse sur les principaux traîtres connus. Vous êtes perdus sans ressources si vous prêtez l'oreille à vos chefs actuels qui ne cesseront de vous cajoler jusqu'à l'arrivée des ennemis devant vos murs. Que dans la journée le tribun soit nommé; faites tomber votre choix sur le citoyen qui vous a montré jusqu'à ce jour le plus de lumières, de zèle et de fidélité : jurez-lui un dévouement inviolable et obéissez-lui religieusement dans tout ce qu'il vous ordonnera pour vous défaire de vos mortels ennemis.
Voici le moment de faire tomber la tête des ministres et de leurs subalternes, de Motier, de tous les scélérats de l'état-major et de tous les commandants de bataillon antipatriotes de Bailly, de tous les municipaux contre-révolutionnaires, de tous les traîtres de l'Assemblée nationale. Commencez donc par vous assurer de leurs personnes, s'il en est encore temps. Saisissez ce moment pour détruire l'organisation de votre garde nationale qui a perdu la liberté; dans ces moments de crise et d'alarmes, vous voilà abandonnés par tous vos officiers; qu'avez-vous besoin de ces lâches qui se cachent dans les moments de danger, et qui ne se montrent dans les temps de calme que pour insulter et maltraiter les soldats patriotes, que pour trahir la patrie ? Faites partir un instant des courriers pour demander main-forte au2z départements; appelez les Bretons à votre secours; emparez-vous de l'arsénal, désarmez les alguazils à cheval, les gardes des ports, les chasseurs des barrières ; préparez-vous à venger vos droits, à défendre votre liberté, et à exterminer vos implacables ennemis.
Un tribun, un tribun militaire, ou vous êtes perdus sans ressource. Jusqu'à présent j'ai fait pour vous sauver tout ce qui était au pouvoir humain; si vous négligez ce conseil salutaire, le seul qui me reste à vous donner, je n'ai plus rien à vous dire, et je prends congé de vous pour toujours. Dans quelques jours Louis XVI reprenant le ton de despote, dans un manifeste insolent, vous traitera de rebelles si vous n'allez vous-mêmes au-devant du joug. Il s'avancera vers vos murs à la tête de tous les fugitifs, de tous les mécontents et des légions autrichiennes ! Cent bouches à feu menaceront d'abattre votre ville à boulets rouges, si vous faites la moindre résistance, tandis que Motier, à la tête des hussards allemands et peut-être des alguazils de l'armée parisienne, viendra vous désarmer; tout ce qu'il y a parmi vous de chauds patriotes seront arrêtés, les écrivains populaires seront traînés dans les cachots et l'ami du peuple dont le dernier soupir sera pour la patrie et dont la voix fidèle vous rappelle encore à la liberté, aura pour tombeau un four ardent. Encore quelques jours d'indécision et il ne sera plus temps de sortir de votre léthargie, la mort vous surprendra dans les bras du sommeil.
Le voilà ramené dans nos murs, ce brigand couronné, parjure, traître et conspirateur. Fourbe, sans honneur et sans âme, au milieu du cortège qui l'amenait prisonnier, il paraissait insensible à l'infamie d'être traîne dans un char chargé de criminels complices de ses forfaits, à l'infamie d'être exposé aux yeux d'une multitude innombrable de ses concitoyens naguère ses esclaves. Tout autre en eût péri de douleur et de honte; mais il ne connaît que les souffrances animales : tout le temps qu'il était entre les mains des soldats de la patrie, il ne cessait de leur demander de ne point lui faire de mal, et il ne songeait qu'à leur demander à manger, surtout à boire.A voir cet être dégradé, non moins lâche que stupide, qui croirait qu'il a pu causer de si vives alarmes à une nation nombreuse, puissante et guerrière ? Hélas ! ce n'est pas lui qui causait nos transes, mais les légions innombrables de valets, de suppôts, de satellites, d'espions, d'assassins, de brigands attaches à ses destinées, auxquels il a promis, s'il est vainqueur, toutes les dignités, toutes les richesses de l'Etat, le partage de nos fortunes et l'empire sur nos personnes. Ennemis d'autant plus redoutables qu'ils osent moins se montrer et qu'ils se couvrent du masque le l'amitié. Dans cette classe, doivent être rangés presque tous nos mandataires, tous les représentants du peuple, tous ces fonctionnaires publics, ces fonctionnaires infâmes auxquels nous avons confié la défense de nos droits, de nos biens, de notre liberté et de nos personnes, qui tournent contre nous nos propres armes, et qui ne travaillent qu'à nous remettre aux fers tout en assurant qu'ils ne s'occupent qu'à vous rendre libres et heureux.
J'ai comparé l'auguste Assemblée a une fille prostituée à Louis XVI. D'ignares écrivains ont eu la folie de l'encenser, de prôner la pureté du civisme qu'elle a fait briller dans nos dernières crises. Les insensés ! C'est ce temps précisément qu'elle a choisi pour consommer ses plus affreux forfaits pour miner la base de l'autel de la patrie.Qui ne sent qu'au premier bruit de la fuite du monarque il fallait nommer un tribun pour déployer les justes vengeances du peuple trop justement indigné. Elle a frémi d'effroi quelques instants : revenue sur ces travers, le premier usage qu'elle a fait de son astuce a été d'endormir le peuple, d'enchaîner ses fureurs et elle y est parvenue sans efforts ; une fois assurée de sa docilité, elle a tout osé et n'a plus mis de bornes à ses attentats. Bientôt ont passé ces funestes décrets qui livrent sans défense la nation entière à la merci des agents et des suppôts du prince.
Sous prétexte de pourvoir à la sûreté de l'Etat et des frontières, elle a remis toutes les forces nationales dans les mains de quelques officiers généraux, créatures du despote et valets nés de la cour. Elle a fait taire dans les places fortes toutes les voix protectrices de la liberté individuelle et publique, pour y établir le gouvernernent militaire, et laisse régner la loi martiale, c'est-à-dire le despotisme des satellites royaux...
Après avoir enchaîné dans les places fortes et dans les camps tous les citoyens armés aux ordres des officiers du despote, elle enchaîne dans le reste de l'empire tous les autres citoyens amis de la liberté, sous la main de la police, constituée arbitre suprême de leurs assemblées, avec plein pouvoir de les dissiper et de les empêcher de se réunir pour délibérer sur les dangers communs. On ose vanter ses soins paternels dans ces moments de détresse et d'alarmes; mais dans quel autre temps, juste ciel, eût-elle eu l'audace d'attenter de la sorte à la liberté ? Enfin pour mettre le comble à ses noirs attentats, elle-même foule aux pieds ses propres serments de ne jamais porter atteinte à la liberté des autres peuples; elle-même, au mépris de ses décrets, fait marcher des troupes pour désarmer les Avignonais, réduits par ses honteuses manoeuvres à se faire justice des traîtres de Carpentras, leurs barbares ennemis.
Le sang des vieillards, des femmes et des enfants massacrés autour de l'autel de la patrie, fume encore, il crie vengeance, et le législateur infâme vient de donner des éloges et des actes de remerciements publics à leurs cruels bourreaux, à leurs lâches assassins. Après avoir consommé cet horrible massacre, Bailly, ce fourbe insigne, à la tête de ses municipaux, accourt au Sénat déplorer les événements malheureux qu'il a prémédités.Non contents d'anéantir les sociétés patriotiques, ces scélérats attentent encore à la liberté de la presse; ils anéantissent la déclaration des droits, les droits de la nature, Lâches citoyens, l'apprendrez-vous sans frémir ? ils déclarent perturbateurs du repos public tout opprimé qui, pour se soustraire à la tyrannie, se fera une arme de son désespoir et conseillera le massacre de ses oppresseurs; ils déclarent perturbateurs du repos public tout citoyen qui, dans les émeutes, criera aux satellites féroces de baisser ou de poser les armes; métamorphosant de la sorte en crimes l'humanité même des citoyens paisibles et les cris de la frayeur, les cris de la défense naturelle.
Infâmes législateurs, vils scélérats, monstres altérés d'or et de sang, brigands sacrilèges, qui trafiquez avec le monarque de nos fortunes, de nos droits, de notre liberté, de nos vies, vous avez cru frapper de terreur les écrivains patriotes et les glacer d'effroi à la vue des supplices. Je me flatte qu'ils ne molliront pas. Quant à l'ami du peuple, vous savez depuis longtemps que tous vos décrets attentatoires à la déclaration des droits ne sont pour lui que des torche-cul. Que ne peut-il rallier à sa voix deux mille hommes déterminés ! Pour sauver la patrie, il irait à leur tête arracher le coeur de l'infernal Motier au milieu de nos nombreux bataillons d'esclaves, il irait brûler dans son palais le monarque et ses suppôts, il irait vous empaler sur vos sièges et vous ensevelir sous les débris embrasés de votre antre. Juste ciel ! que ne peut-il faire passer dans l'âme de ses concitoyens les feux qui dévorent la sienne ! que ne peut-il laisser aux tyrans du monde entier un exemple effrayant de vengeances populaires ! O ma patrie ! reçois les accents de ma douleur et de mon désespoir !
Non, la liberté n'est point faite pour nous; nous sommes trop ignorants, trop vains, trop présomptueux, trop lâches, trop vils, trop corrompus, trop attachés au repos et aux plaisirs, trop esclaves de la fortune pour connaître jamais le prix de la liberté. Nous nous vantons d'être libres ! pour sentir à quel point nous sommes esclaves, il suffit de jeter un coup d'oeil sur la capitale et de voir les moeurs de ses habitants.Nous ressemblons si parfaitement aux Romains, sous les despotes qui les tyrannisaient après la perte de la République, qu'il est impossible de lire les satires VI, VII et VIII de Juvénal écrivant sous Domitien, sans reconnaître nos femmes galantes, nos gens de lettres et nos jadis nobles, dans la peinture qu'il fait de ceux de Rome. Mais c'est dans la satire XIII que les Parisiens peuvent se reconnaître, au tableau qu'il fait de l'avarice, de la rapacité, de la fraude, de la friponnerie, de la perfidie, du brigandage et des crimes de toute espèce qui souillaient Rome.
Je passerai sous silence ces traits caractéristiques pour tracer le portrait qu'il fait de la soldatesque romaine ; nous y reconnaîtrons trait pour trait nos gardes nationaux; même insolence, même licence, même impunité et mêmes privilèges. Voici quelques fragments de la satire XVI, qui contient ces tableau :
« Nul citoyen, dit l'auteur, n'oserait frapper un soldat; en fût-il frappé lui-même, il faut qu'il dissimule, et qu'il se garde bien d'aller montrer au préteur ses meurtrissures ou ses blessures... »
« S'il poursuit son agresseur, on lui donne pour juge un tribunal militaire, assiste de farouches officiers. Il est juste, dit-on, que la connaissance des délits militaires appartienne aux officiers. Fort bien ! répondez-vous ; mais cela n'empêche pas, si une plainte est fondée, qu'ils ne me rendent justice. Pauvre sot, ne voyez-vous pas toute la cohorte s'élever à l'instant contre vous ? Pour venger votre injure, irez-vous donc vous exposer à de nouvelles insultes plus graves que les premières ?... Quel homme serait assez zélé, assez courageux pour oser vous servir de témoin ? Croyez moi, n'exigez point même de vos amis ce dont ils vous prieraient de les dispenser... Sachez qu'il est plus facile de trouver un faux témoin contre le citoyen sans défense que d'en trouver un véridique contre un soldat protégé. »
Qui ne croirait que c'est là l'esquisse fidèle de la protection et de 'impunité accordées aux pousse-culs et aux coupe-jarrets nationaux du général Lafayette, contre tous les citoyens non armés ?...
Hommes lâches et corrompus, cessez de vous plaindre de vos fers, des outrages auxquels vous êtes exposés, de la tyrannie qu'on déploie contre vous ! Comment pourriez-vous jouir de vos droits ? vous les méconnaissez. Comment pourriez-vous les défendre ? vous n'en sentîtes jamais le prix. Il faut des lumières, du courage, des soins, des combats, pour conquérir la liberté ; pour la conserver, il faut de la constance, et une vertu à l'épreuve des fatigues, des privations, de la misère, de la faim, des périls, de la douleur. Non, non, elle n'est point faite pour une nation ignare, légère et frivole; pour des citadins élevés dans la crainte, la dissimulation, la fourbe; le mensonge, nourris dans la souplesse, l'intrigue, la flagornerie, l'avarice, l'escroquerie ; ne subsistant que de friponneries et de rapines, ne soupirant qu'après les plaisirs, les titres, les décorations, et toujours prêts à se vendre pour de l'or.
Aussi, après s'être soulevés à la fois contre la tyrannie qui menaçait de mettre leurs maisons au pillage, et avoir désarmé les satellites du tyran, - les a-t-on vus à l'instant s'agiter et courir après les emplois et les places lucratives, dès qu'il a été question de changer la forme du gouvernement; ensuite piller le public sans pudeur, puis se rallier autour de la cour, lorsqu'il a été question d'établir la loi de l'égalité; puis se vendre au despote pour enchaîner le citoyen indépendant : tandis que le citadin avare et inepte pressait le ciel par ses voeux de rétablir l'ancien régime, le règne de la servitude auquel nous avons été ramenés peu à peu, après avoir été travaillés, deux années entières, par des mouvements populaires et les agitations de l'anarchie.
Il n'est donné qu'aux politiques consommés, aux penseurs profonds, de juger à la lecture des lois constitutionnelles d'un Etat, du degré de liberté, de sûreté et de bonheur dont doit jouir le peuple sous leur empire. Quant à la multitude, elle a besoin de voir longtemps le jeu de la machine du gouvernement, c'est-à-dire de voir l'application des lois à une multitude de cas particuliers.Peut-être le parallèle du nouveau régime à l'ancien sera-t-il pour mes lecteurs le meilleur moyen d'apprécier notre nouvelle Constitution.
Sous l'ancien régime, le roi réunissait tous les pouvoirs usurpés ou délégués, et il les exerçait tous par ses agents immédiats, à l'exception du pouvoir judiciaire, qu'il laissait aux tribunaux. On l'aurait cru tout puissant; mais quelle résistance ne rencontrait-il pas souvent à l'exécution de ses ordres !
Les édits de son conseil étaient réputés LOIS; mais ces lois n'avaient d'effet qu'autant qu'elles étaient enregistrées, c'est-à-dire sanctionnées par les cours de parlement; ces cours de judicature étaient donc les arbitres de la puissance législative qu'il exerçait lui-même. Sans doute il avait la force en main pour les obliger d'enregistrer; mais aussitôt qu'il voulait employer la violence contre l'une d'elles, il les voyait toutes se réunir contre lui. Le peuple qui regardait les parlements comme ses défenseurs, et qui les appelait les pères de la patrie, ne manquait presque jamais de se déclarer pour eux; aussi le législateur était-il souvent forcé lui-même de suspendre ses projets et de révoquer ses édits. On se rappelle la résistance extrême que Louis XV éprouva de leur part au sujet de son édit qui anéantissait la procédure contre son ministre accusé des plus noirs attentats, et la résistance plus victorieuse encore que Louis XVI éprouva au sujet des édits sur l'impôt territorial et l'établissement du timbre.
Les cours de parlement réunissaient dans leur sein les pairs du royaume. Le corps de la magistrature faisait donc cause commune avec la noblesse et le clergé, contre le législateur, lesquels l'arrêtaient aussi quelquefois, chacun de leur côté, l'un en lui opposant ses préjugés d'honneur, l'autre en lui opposant ses immunités.
Sous le nouveau régime, toutes ces barrières ont été renversées. Le roi, il est vrai, n'a plus la puissance législative, mais il dispose à volonté du législateur, dont il peut seul arrêter les entreprises, dont il peut même se jouer et qu'on vient de traiter en valets. La manière dont il a reçu de leurs mains l'acte constitutionnel, après le leur avoir fait dénaturer à son gré, met le sceau de l'évidence à cette triste vérité. Le roi a donc infiniment gagné à ne plus exercer immédiatement la puissance exécutive. Il n'est plus législateur, mais il en est le maître; il ne fait plus les lois, mais il les fait faire; et comme il paraît actuellement reçu que tout doit fléchir devant les décrets des pères conscrits, en faisant passer ses ordres par leur organe, il ne trouve plus de bornes à ses volontés et il se décharge sur les faiseurs de décrets de l'odieux que lui auraient attiré des édits injustes et arbitraires. A cet égard, Louis XVI, plus puissant que jamais, est donc beaucoup plus redoutable à la liberté publique.
Sous l'ancien régime, le roi avait la puissance exécutive; il l'a de même sous le nouveau régime, avec cette différence, qu'il ne choisit que ses principaux agents et qu'il laisse au peuple le vain privilège ou plutôt l'embarras de nommer les agents subalternes.
Sous l'ancien régime, les revenus publics étaient censés le patrimoine du roi; il les dépensait â son gré ou plutôt il les laissait dilapider au gré de ses ministres et de ses favoris, mais il restait toujours chargé aux yeux du public de l'abus qu'ils en avaient fait, et cet abus, qui lui aliénait toujours le coeur des peuples, a plus d'une fois compromis son autorité.
Sous le nouveau régime il a l'administration suprême des biens nationaux, la gestion des finances, les clefs du trésor public, le moule du papier monnaie, et comme il ne paraît pas directement dans la disposition de la fortune publique, il peut la dilapider à son aise, sans être chargé de l'odieux des dilapidations, et sans être exposé à en craindre les suites si fâcheuses : le pis qu'il en pourrait résulter pour lui, serait de livrer à la vindicte publique le misérable dont il aurait fait l'instrument de ses déprédations, car jamais la responsabilité ne s'étendra plus loin.
Sous l'ancien régime, le roi était le chef et le dispensateur suprême de l'armée; c'est sur ce corps et par ce corps surtout que son despotisme n'avait point de bornes.
Sous le nouveau régime, il est également le chef et le dispensateur suprême de l'armée. Si son autorité y est moins respectée, c'est que ses agents l'emploient souvent contre le torrent de l'opinion publique, qui, dans tous les pays, fut toujours la reine du monde. Au demeurant, jamais il n'eut plus de pouvoir : puisqu'il peut faire massacrer ceux qui refuseraient de se soumettre à ses ordres, avec l'avantage de rejeter sur les faiseurs de décrets l'horreur qu'inspirerait une pareille atrocité.
Sous l'ancien régime, les hautes cours de judicature quoique sous la main du roi, étaient rarement influencées par la cour. La propriété des charges, un certain esprit de corps et un sentiment de dignité dans quelques anciennes familles de robe contribuaient beaucoup à rendre ces tribunaux indépendants.
Sous le nouveau régime, les tribunaux, composés de quelques suppôts de la chicane, bas intrigants ou nouveaux parvenus, presque toujours mis en jeu par un agent ministériel, accusateur public, et surveillés par un commissaire royal, présentent l'image des anciennes commissions assassins, dont Richelieu et Mazarin se servaient pour se défaire de leurs ennemis, et que leur prostitution fit proscrire, même sous les deux règnes despotiques. Peut-être dira-t-on qu'il ne s'agit que de choisir pour juges des hommes intègres ? Mais il ne s'agissait non plus autrefois que de cela. Si nos anciens juges avaient tous été gens de bien, on n'aurait pas été dans la nécessité de les réformer et d'anéantir leur corps.
Sous l'ancien régime, la police était aux ordres du roi : elle lui est plus encore dévouée sous le nouveau.
Ainsi Louis XVI, roi constitutionnel n'est pas moins despote que ne l'était Louis XVI, roi illégitime. Toujours l'extension de la puissance sera l'objet des efforts de ses ministres. Avec plus de moyens qu'autrefois d'excercer un pouvoir arbitraire, il a encore cet avantage, qu'il peut l'exercer impunément sous les auspices du Corps législatif, et au moyen des subterfuges de ses agents, de ses suppôts.
Qu'avons-nous donc gagné à la Révolution ? Plus d'aisance ? Hélas ! le peu qui nous restait, nous l'avons perdu : avant la prise de la Bastille, l'or et l'argent étaient communs, les spéculations de nos augustes législateurs nous ont enlevés notre dernier écu, à peine nous reste-t-il quelques gros sols
Les entrées des villes ont été supprimées; la réduction du prix des denrées devait en être la suite nécessaire; mais loin de baisser de prix, tout a renchéri d'un tiers, grâce à la banqueroute partielle que l'Assemblée nationale a faite sur les assignats, qu'elle n'a point soutenus au pair, et l'accaparement de tout le numéraire.
Si du moins l'on pouvait se procurer des aliments salubres à haut prix; mais le premier de tous est détestable : après trois années fertiles les accapareurs royaux nous font manger du pain de farines pourries, encore nous menace-t-on d'en manquer.
Les barrières détruites (jusqu'à ce qu'on les relève) ont fait réformer 80,000 employés de la ferme; on pouvait espérer que c'était 80,000 bouches inutiles à nourrir; mais on les a remplacés par 250,000 employés municipaux ou administrateurs de districts et de départements qui pillent le pauvre peuple plus impitoyablement que jamais.
Beaucoup de droits ont été supprimés, ce qui devait diminuer considérablement le poids des impôts; mais il n'en est devenu que plus lourd, surtout pour les habitants des villes. Tel citadin qui ne payait que 25 livres de capitation est imposé à plus de 100 livres de contribution mobilière.
La justice est déclarée gratuite, mais les huissiers continuent leur brigandage; les frais d'expédition sont très gros; le temps que l'on perd à courir d'un tribunal à un autre est énorme; de sorte qu'à tout prendre, la justice est plus ruineuse aujourd'hui qu'elle ne l'était autrefois.
Si du moins elle était exactement rendue - mais jusqu'ici elle a été refusée à tous les amis de la liberté, ou plutôt elle n'a servi qu'à favoriser les ennemis de la patrie et à opprimer ses défenseurs. Voyez les patriotes du Champ-de-Mars plongés dans de noirs cachots, tandis que leurs lâches assassins jouissent de l'impunité et de la protection la plus révoltante. Voyez les parents des victimes barbarement immolées à Vernon, à la Rapée, à la Chapelle, à Nancy repoussés par tous les tribunaux, tandis que leurs cruels bourreaux, assurés de l'impunité, insultent encore à leur désespoir, et, parmi les traîtres et les conspirateurs, montrez m'en un seul jusqu'à ce jour qui ait expié ses forfaits sur l'échafaud.
On nous berce ridiculement des grands mots de LIBERTÉ, et jamais nous ne fûmes plus esclaves. Partout des liens et des fers; à peine pouvons-nous faire un pas sans trouver des entraves. Voulons-nous poursuivre dans l'étranger un débiteur fugitif ? au mépris de la déclaration des droits qui laisse à chacun la liberté d'aller, de venir et de vaquer à ses affaires, que de démarches avant d'obtenir la permission ! Il faut aller à la section se faire toiser, donner la nuance de ses cheveux, de son teint; puis courir à la municipalité mettre en montre sa figure, et enfin aller chez le ministre jouer la même parade; encore, après toutes ces courses, n'obtient-on rien qu'on ne soit marchand, tant on craint que les artistes, les ouvriers, les rentiers et les autres citoyens ne prennent le parti d'abandonner une patrie où ils ne trouvent que servitude, misère et oppression.
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