Chapitre X |
Marat, l'Ami du Peuple |
Chapitre XII |
SOMMAIRE. - Date du Plan de Constitution. - Opportunité du livre. - Droits de l'homme. - Principe social. - Droit à la subsistance. - Liberté. - Égalite. - Résistance à l'oppression. - Formation de la société. - But qu'elle se propose. - Sûreté personnelle et propriété des biens. - Du vrai souverain. - Du droit de suffrage. - Pouvoir des représentants. - Mandats impératifs. - Sanction du peuple. - Révocation des députes. - Pouvoir exécutif. - De l'armée. - Pouvoir Judiciaire. - Des impôts. - De la religion. - Des devoirs. - Réponse aux objections. - Marat prend le parti du peuple. - L'ouvrage répond au titre. - Le droit à la subsistance a été revendiqué tout d'abord par Marat. - Le Plan se distingue surtout par le courage de l'écrivain. - Pourquoi ce plan n'a pas été adopte. - Que le lecteur doit prendre parti pour ou contre.
Ce numéro unique du Moniteur patriote peut être considéré comme l'avant-propos d'une brochure qui paraît peu après et qui était intitulée : La Constitution ou Projet de déclaration des droits de l'homme et du citoyen, suivi d'un plan de constitution juste, sage et libre. Par l'auteur de l'Offrande à la patrie ; Paris, chez Buisson, 1789, in-8° de soixante-sept pages. Un passage d'une autre brochure nous indique au juste la date de l'apparition de celle-ci : « Ce plan a été publie à la fin du mois d'août 1789. » (Appel à la nation.)
On répéte tous les jours : la critique est aisée. Peut-être une bonne critique n'est-elle pas aussi facile que les esprits vulgaires ont l'air de le croire ; mais ce qu'il y a de certain, c'est que l'écrivain assez fort pour placer le modèle à côté de la critique mérite à double titre la confiance. C'est justement ce que se proposa Marat ; après avoir prouvé dans le Moniteur combien était imparfait, sous tous les rapports, le Projet [162] de Mounier, il va présenter sa Constitution : on était en droit de l'attendre de l'auteur de l'Offrande à la patrie, car il s'y était expliqué trop sommairement. Ce nouvel ouvrage n'avait pas moins d'opportunité que les autres, puisque le Comité de Constitution n'apportait qu'un projet, puisque l'Assemblée allait être appelée à le discuter article par article, puisque l'appel s'adressait à la France entière, au concours des lumières de tous.
L'auteur annonce dans sa préface qu'il va révéler des vérités sacrées que jusqu'ici l'on s'est efforcé de cacher ; « longtemps etouffées par la tyrannie, defigurées par les sophistes soudoyés, et méconnues des peuples, elles perceront enfin ; la nature les grava au fond de tous les coeurs, et une seule voix elevée au milieu de la multitude suffit pour les faire triompher. Puissent nos faibles efforts engager le législateur à les considerer dans sa sagesse, et à prévenir les commotions terribles que causerait l'oubli de la justice que la société doit à ses membres malheureux ! » La réaction s'était serrée en phalange pour tâcher de recouvrer dans la lutte de la parole le terrain qu'elle avait perdu dans celle des baïonnettes. Les journaux royalistes s'efforcaient de prouver la nécessité de rendre au pouvoir executif son autorité. Il y avait réellement peril ; l'expérience ne nous a que trop demontré depuis que les débats parlementaires finissent toujours par enlever un à un à la Révolution tous les droits reconquis au prix du sang. Le plus grand danger est dans les assemblées recomposées après la victoire ; ce sont justement elles qui sont l'objet de la confiance la plus aveugle du peuple, et c'est justement envers elles qu'il devrait exercer la plus sévère vigilance. Avant qu'on ne l'eût expérimenté, Marat l'avait pressenti ; il savait que des députés ignares ou timides, ou gagnés, peuvent en un seul vote faire perdre tout le fruit d'une victoire ; aussi le verrons-nous suivre pas à pas tous les travaux des constituants. On en a conclu que c'était par jalousie de métier ; mais qui l'a [163] tendu ? Les législateurs eux-mêmes. Quoi qu'il en soit, profitons de cette première observation dont l'histoire ne prouve que trop l'importance.
Nous allons donc voir se dérouler sous nos yeux les principes de cette politique maratiste, aujourd'hui encore objet d'épouvante, de colère et de mépris ! Ne vous sentez-vous pas tressaillir dans l'attente, comme au lever du rideau de quelque drame effrayant de Shakespeare ? Marat le fou, le sanguinaire, qui va dicter les lois élucubrées de son cerveau calciné par la fureur, par la haine, par l'envie ! Certes, il y a là de quoi reveiller l'attention la plus profondément assoupie. Lisons donc et jugeons. Retenons bien les principes, pesons bien attentivement les raisons sur lesquelles l'auteur les appuie. Dans une telle oeuvre tout a sa valeur : le texte et le commentaire.
« Toute association politique doit avoir pour but d'assurer les droits de ses membres ; pour les assurer, il faut les connaître, connaissance qui ne peut s'acquérir qu'en méditant sur les rapports mutuels des hommes considérés entre eux, et sur leurs rapports avec les autres êtres du globe qu'ils habitent. » C'est à peu près ce qu'avait avancé Montesquieu dans sa profonde definition des lois ; qu'importe ? le but n'est pas de changer le vrai pour du nouveau, mais de le constater par une application toujours plus radicale.
Or, la Constituante n'était-elle réellement composée que de membres possédant cette connaissance des droits ? Je veux admettre que les députés du Tiers ont fourni, en grande partie, leurs preuves ; mais ceux de la noblesse, ceux du clerge ? Et parmi les envoyés des communes mêmes ? Examinons de près ; sans doute on compte beaucoup de jurisconsultes ; mais la jurisprudence inocule-t-elle la science politique ou economique ? Et quand l'avocat n'est qu'un rhéteur (cas le plus ordinaire), n'est-ce pas de tous le plus à redouter, lui qui, brodant sur le texte à volonte, n'est propre qu'à troubler les esprits, à compromettre le régime parlementaire, et, ce qui est pire, les meilleurs causes. Sans doute on compte encore [164] parmi le Tiers d'habiles littérateurs ; mais s'ils n'ont pas médité sur les rapports des peuples avec leurs gouvernants, ils ne feront qu'augmenter le nombre des parleurs.
J'ai toujours admiré cette loi égyptienne qui n'accordait à chaque orateur que quelques minutes pour défendre sa cause. Aux mélomanes qui seraient tentés de qualifier cette loi d'absurde, je dirai : reportez-vous aux premieres années de la Convention, fut-il plus grand tribun révolutionnaire que Danton ? Eh bien, il n'est pas un seul de ses discours qui ne puisse être prononcé en moins d'un quart d'heure.
Telle était donc, sous le rapport des connaissances politiques, la composition de l'Assemblée nationale, au moment où Marat esquissait son Plan de Constitution. Ce n'est pas, comme on l'a insinué, qu'il se croie seul capable d'une telle oeuvre : « Si Montesquieu et Rousseau étaient encore parmi nous, ce que la nation pourrait faire de mieux serait de les prier à genoux de lui donner une constitution, et cette constitution serait tout ce que le génie, la sagesse, la vertu pourraient faire de plus parfait. » Consultez les ouvrages du temps, vous vous convaincrez que parmi toutes les brochures qui s'accumulaient aucune n'avait sur cet objet une véritable valeur ; toutes décelaient plus de bonne volonté, d'impatience, d'intuition, de réminiscences grecques ou romaines que de véritable science. Et nous sommes déjà autorisé par ce qui précède à avouer que Marat ne se montrait pas trop prétentieux quand il écrivait dans le préambule : « Je ne suis pas absolument neuf sur ces matières. » Étude faite du Plan que nous allons analyser, nous croyons, non-seulement que l'Assemblée et le public de 1789 auraient pu en tirer parti, mais qu'aujourd'hui encore ce livre est resté des plus utiles ; c'est pourquoi nous y insisterons encore plus que sur les autres. Notre travail ne se propose pas seulement de satisfaire la curiosité publique, d'éclairer les historiens, de réhabiliter un homme quand il doit l'être ; mais, avant tout, c'est un livre de doctrine que nous avons voulu faire.
« L'homme reçut avec la vie le penchant irrésistible de la conserver, de la défendre, de la rendre agréable ; de là des besoins impérieux à satisfaire ; des seuls besoins de l'homme derivent tous ses droits. » Voila clairement posé le principe de toute association politique : l'homme est né pour vivre, il a donc droit à tout ce qui est indispensable à son existence. Je le cherche dans les constitutions libérales de 1791 et de 1793, et ne l'y trouve pas. Pénétrons-nous-en bien : D'où dérivent mes droits ? De la loi que m'impose la nature de me conserver moi-même ; le principe est donc supérieur à toute association, à toute constitution, il dérive de la nature de mon être : connaissant le point de départ, j'en prévois déjà les consequences forcées. Rien là, sans doute, qui puisse être contesté ; voilà bien le caractère distinctif du vrai. Continuons.
« L'homme a donc droit d'abord de s'approprier tout ce qui est nécessaire à sa nourriture et à son entretien. » Quoi de plus logique ? Et pourtant les Constituants n'y ont pas songé. Ne serait-ce pas qu'aucun d'eux n'avait eu faim ? A propos de cette première conséquence, ou de ce premier droit, il est bon de citer le développement ; on en a fait un crime à l'auteur : « Quand un homme, dit-il, manque de tout, il a droit d'arracher à un autre le superflu dont il regorge ; que dis-je ? il a droit de lui arracher le nécessaire, et, plutôt que de périr de faim, il a droit de l'égorger et de dévorer ses chairs palpitantes. » Je sais que jusqu'ici les politiques honnêtes et bien repus se sont récriés, se sont indignés au nom de la morale, au nom de la religlon, au nom de l'ordre. Mais le principe en est-il moins juste, la conséquence moins forcée ? J'attends pour condamner Marat, pour rétorquer cette irréfutable argumentation, que les affamés aient eu voix au conseil, et surtout que les affamants aient proposé leurs moyens préventifs. A chaque révolution les dévorés ont posé [166] le problème, et les dévorants l'ont résolu par la force brutale ; il est donc encore à résoudre, car la violence ne prouve rien.
Le second droit ne ressort pas moins rigoureusement du point de depart : « L'homme chargé du soin de sa propre conservation a droit de faire librement usage de toutes ses facultés. » En effet, composé d'un corps et d'une intelligence, chacun de nous ne saurait vivre, dans toute l'acception du mot, s'il ne peut développer toutes les puissances de son être.
Mais ces deux premiers droits devraient être considérés comme illusoires, et la politique ne serait pas une science, si elle ne pouvait assigner la mesure qui en revient à chacun, si elle ne pouvait les tarifier. C'est justement cette mesure que représente l'égalité : « Les droits, dit notre législateur, sont égaux pour tous les individus, quelque différence que la nature ait établie entre eux. » Ainsi, c'est bien entendu, si l'égalité est encore un droit, s'il y a égalité pour tous, c'est que la nature a donné à chacun de ses enfants des aptitudes différentes quant à l'espece, mais non pas inégales en valeur sociale : deux acceptions qu'on feint de confondre pour perpétuer l'injustice des répartitions.
Enfin, le droit de vivre, le droit à la liberté, le droit à l'égalité ne seraient qu'une déclaration vaine, s'ils n'étaient sanctionnés par un quatrième et dernier, qui vient, pour ainsi dire, consacrer les autres, en assurer la jouissance : je parle du droit de résistance à l'oppression.
Voilà, d'après Marat, la table complète des droits de l'homme, le point de départ de toute politique ; il serait difficile de ne pas reconnaître qu'ils se déduisent sans effort du principe, qu'ils en revêtent tous les caractères, qu'ils sont universels, sacrés, éternels et par consequent imprescriptibles ; qu'enfin ils comprennent implicitement tout ce qu'on a essayé depuis.
A propos du droit de tous à la subsistance, un historien fait remarquer, à la louange de la constitution de 1793, qu'on [167] remonterait vainement plus haut pour en trouver l'expression. (Michelet, Histoire de la Revolution française, t. VI, liv. II, ch. 2.) Évidemment, cet historien n'avait pas lu Marat.
Le meme historien, parlant encore de la constitution des Montagnards, ajoute : « Le droit de résistance à l'oppression ne figure pas dans l'énumeration des droits de l'homme. » [Ibidem, p. 37.) Et pourtant on lit à l'article 35 de la déclaration des droits, placé là comme consécration de tous les autres : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré et le plus indispensable des devoirs. » Cet historien n'avait évidemment pas lu la Constitution de 1793. Mais poursuivons notre analyse, voyons comment et dans quel but se sont établies les sociétés.
L'homme est constamment entraîné par deux penchants : l'amour de soi, qui le porte à immoler à son bonheur l'univers entier ; et le besoin de la société, qui lui commande de ne pas sacrifier le tout à la partie. De la lutte incessante de ces deux instincts résulte un état de guerre ; pour le faire cesser, les hommes se sont réunis en corps. « Donc, si le pacte social est libre, le seul motif qui ait pu déterminer les membres de l'association à le former est leur avantage ; s'il est juste, le seul motif qui les ait déterminés est leur avantage commun. Ainsi le but légitime de toute association politique est le bonheur de ses membres. » Je ne dois donc adhesion aux statuts de la société, en d'autres termes je ne dois obéissance aux lois qu'autant qu'elles assurent mon bonheur ; sinon je rentre dans le droit de résister : ainsi me le commande la nature qui m'a confié la conservation de mon être ; ainsi le veut la consequence logique du principe que nous avons posé et reconnu. Remarquons bien qu'ici Marat ne nous engage pas, comme l'a fait Rousseau dans son Contrat social, dans l'impasse du vote des majorités. C'est que, pour lui, les droits de la nature, antérieurs aux droits civils, leur sont supérieurs aussi ; c'est-à-dire que la société ne peut rien contre eux. [168] Quand la majorite du peuple français déciderait qu'un million d'hommes sur trente-six doit être privé d'un de ces droits, la minorité aurait devoir de résistance, au nom de sa propre conservation. Mais elle sera contrainte, vaincue par la force de trente-cinq contre un, dites-vous. Soit, elle n'en aura pas moins la justice pour elle. Abel aussi a été vaincu par la force, et Caïn n'en reste pas moins, depuis bientôt six mille ans, marqué d'un sceau de réprobation, flétri du nom d'assassin.
Nous voila réunis en société ; quels nouveaux droits allons nous y acquérir, sans perdre ceux que nous avons reçus de la nature ? « Les droits de chaque individu ne sont que ses droits naturels, contre-balancés par ceux des autres individus, et limités au point où ils commenceraient à les blesser. De là résulte l'obligation que chacun s'impose de respecter les droits d'autrui, pour s'assurer la paisible jouissance des siens ; c'est donc par le pacte social que les droits de la nature prennent un caractère sacré. » A ces droits éternels, inaliénables, s'ajoutent, par le fait de l'association, ceux qu'on appelle civils ; ces derniers comprennent la sûreté personnelle et la propriété des biens.
L'auteur ici revient sur les droits naturels pour s'expliquer d'une manière plus explicite encore, tant la question est grave. « Dans une société sagement ordonnée les membres de l'État doivent, à raison même des droits qu'ils tiennent de la nature, jouir à peu près des mêmes avantages. Je dis à peu près, car il ne faut point prétendre à une égalité rigoureuse qui ne saurait exister dans la société et qui n'est pas même dans la nature. »
C'est surtout sur le sort de ceux qui manquent du nécessaire qu'il s'étend : « Dans une société où la loi n'a rien fait pour borner les fortunes, la société doit à ceux de ses membres qui n'ont aucune propriété, et dont le travail suffit à peine à leurs besoins, une subsistance assurée, de quoi se nourrir, se vêtir, se loger convenablement, de quoi se soigner dans leurs maladies, dans leur vieillesse, de quoi élever leurs [169] enfants. C'est le prix qu'ils ont fait du sacrifice de leurs droits communs aux productions de la terre, et de l'engagement qu'ils ont pris de respecter les propriétés de leurs concitoyens. » Mais où prendre cet indispensable ? « Ceux qui regorgent du superflu doivent subvenir aux besoins de ceux qui manquent du nécessaire. » Si les possédants s'y opposent ? « L'honnête citoyen que la société abandonne à sa misere et à son desespoir rentre dans l'état de nature, et a le droit de revendiquer à main armée des avantages qu'il n'a pu aliéner que pour s'en procurer de plus grands : toute autorité qui s'y oppose est tyrannique, et le juge qui le condamne à mort n'est qu'un lâche assassin. » Le législateur de 1780 peut se répéter ici, car il n'a pas varié. Cette politique est atroce, dites-vous ? Examinons la vôtre ; elle peut, sans exagération, se resumer ainsi : « La trente-sixième partie des citoyens a le droit de posséder à elle seule le sol entier, tous les capitaux, toutes les propriétés, tous les instruments de travail, et de laisser mourir de faim, s'il lui plait, les trente-cinq autres parties de la population. » Je défie qu'on me prouve qu'il y a rien là d'exagéré ; et dans ce cas, je demande laquelle des deux politiques est plus atroce, je demande de quel côté est la justice et l'humanité entre ceux qui prétendent que tous ont le droit de vivre, et ceux qui affirment que les possédants seuls ont ce droit. Je demande qu'un tiers impartial, un citoyen qui ne possède que ce qui lui est nécessaire, je demande, dis-je, que ce juge hors de cause, et par conséquent compétent, prononce entre Marat et vous.
Poursuivons l'analyse. « Nulle société ne se forme qu'au moyen d'une certaine Organisation. Organisée d'une manière quelconque, elle se nomme corps politique. Pris collectivement les membres de l'État sont le vrai souverain, pris individuellement, ils en sont les sujets. »
Occupons-nous d'abord du souverain, et ne perdons pas un mot de ce qu'avance aujourd'hui le législateur ; afin de constater si plus tard il modifiera ou non sa politique. [170]
« Le souverain est indépendant de toute puissance humaine ; il jouit d'une liberté sans bornes. Les actes d'autorité qui émanent de lui se nomment lois, et l'autorité qu'il déploie s'appelle puissance législative. La nation est donc le vrai législateur de l'État. Les seules barrières du souverain sont les droits naturels et civils qu'il ne doit jamais blesser, car ces droits sont plus sacrés encore que les lois fondamentales de l'État. » Il n'y a pas moyen d'équivoquer ; le peuple même pris collectivement ne peut légiférer contre les droits naturels et civils, contre le droit à la subsistance ; à la liberté, à l'égalité, enfin contre le droit d'exterminer quiconque voudrait porter atteinte à ma vie par une violation quelconque de ces droits.
Mais de quelle manière les appliquera-t-on ? « Le concours de tous à toute chose étant impossible, il faut que le peuple agisse par des représentants. » Ici s'énonce un autre principe bien important et que nous prions le lecteur de ne point perdre de vue : « Tout citoyen doit avoir le droit de suffrage que lui donne la naissance seule. »
Jusqu'où s'étendra le pouvoir des representants ? « Le pouvoir que le souverain leur a confié n'est qu'une simple commission à terme, et les droits qu'il leur accorde ne sont que de simples prérogatives... Leur autorité doit toujours être limitée ; autrement, maîtres absolus de l'empire, ils pourraient, à leur gré, enlever les droits du citoyen, attaquer les lois fondamentales, renverser la Constitution. » Donc, le peuple a droit de donner des mandats impératifs ; donc, le commettant a droit de révoquer les pouvoirs d'un député qui abandonnerait ou trahirait les intérêts de la patrie, et d'en poursuivre la punition. Ceux qui connaissent un peu l'histoire de notre Révolution pressentent déjà sans doute combien de motifs de revendication aura bientôt le journaliste ; encore une fois qu'ils n'oublient pas que les principes avaient été posés d'avance : cette considération pèse d'un si grand poids sur le jugement qu'il sera permis de porter. [171]
Marat dans son paragraphe sur le pouvoir exécutif prend les plus strictes mesures pour qu'il soit distinct du législatif. A cet effet, « que l'exécutif soit privé de tout moyen d'influencer les élections ; que le sénat puisse s'assembler sans être convoqué par lui ; que la sanctioa du prince ne soit qu'une simple formalité ; que toute ordonnance rapporte dans son préambule la loi sur laquelle elle s'appuie : que le maintien des droits civils soit confié à des magistrats indépendants du pouvoir exécutif ; que la garde du droit des gens SEULE lui soit confiée. » Encore une fois, remarquons bien que dans l'esprit du législateur Marat l'action du pouvoir exécutif ne doit s'exercer que sur les affaires extérieures, tout le reste n'étant que du ressort des municipalités. Et M. Michelet a dit de Marat : « Il ne resout rien ! » A propos de ces diverses applications l'auteur critique certaines de celles qu'a déjà faites l'Assemblée nationale, comme pour lui dire : tout ce que vous avez décrété jusqu'ici n'est que provisoire ; revenez sur des erreurs involontaires peut-être, mais très-graves ; revenez-y franchement dans la constitution que vous allez discuter et présenter au souverain.
Parlant des princes : « On attend d'eux, dit-il, des lumieres, des talents, de la modération, du désintéressement, des vertus : confiance aveugle ! hommes comme leurs concitoyens, on ne doit en attendre que des passions. Ne leur demandez pas de faire le bien, mettez-les dans l'heureuse impuissance de faire le mal. » Est-ce là de la politique de parti ?
Venant au commandement des troupes réglées : « Que faire pour n'avoir rien à craindre de l'armée, se demande-t-il ? La réduire et arrêter le pouvoir par la crainte du pouvoir. Il est donc indispensable de former une milice nationale très-nombreuse, et même d'armer chaque citoyen non suspect. Il est indispensable aussi que les grandes villes du royaume aient de l'artillerie, un train de guerre et des munitions aux ordres des municipalités... En cas d'émeute, les soldats n'obéiront [172] qu'au commandement des magistrats municipaux, qui seuls doivent être chargés de veiller au maintien de la tranquillité. » Nous ne pouvons transcrire ici la brochure tout entière, mais on peut se convaincre, en la lisant, qu'aucune mesure n'est oubliée pour empêcher l'abus de la force.
Quant au pouvoir judiciaire : « C'est aux municipalités de choisir entre les candidats... Si le prince nommait les juges, ils seraient à lui infailliblement. » Il y a loin de là à cette centralisation du pouvoir tant prônée de nos jours comme une sauve-garde contre les attentats des ennemis du dehors, mais qui n'est, au fond, qu'une sauve-garde des abus de la puissance exécutive. Marat savait que l'ennemi le plus à craindre, le plus immediat, est le pouvoir exécutif, ou gouvernement, pouvoir toujours armé contre la liberté ; aussi est-ce contre lui que le législateur prescrivait dans sa constitution les précautions les plus minutieuses. On dirait que son plan a été dressé après les funestes expériences de notre malheureuse Révolution. C'est qu'il avait dès longtemps médité sur l'histoire, cet homme qu'on a accusé d'avoir parlé légèrement de tout.
Comme il fait habilement ressortir dans son paragraphe des Forces de l'État que la France est heureusement le pays qui, par sa situation, le nombre de ses habitants et le caractère guerrier des citoyens, a le moins besoin d'armée disciplinée ! On n'est pas assez revenu depuis sur cette observation : c'est que le pouvoir avait trop d'intérêt à conserver par cent mille des janissaires à sa discrétion. Dites-moi à quel effectif s'élèvent vos troupes de ligne, et je vous dirai ce qu'on vous laisse de liberté ; Marat pensait en 1789 que soixante mille hommes de troupes réglées devaient suffire à la France.
Voici sur quel principe il établissait les impôts : « Celui qui n'a que le nécessaire physique, ne pouvant rien en retrancher, ne doit rien à l'État ; ce n'est que sur le superflu qu'on peut les asseoir. » Les détails que donne Marat à ce sujet prouvent qu'à cette époque les hommes même les plus [173] avancés n'avaient que très-peu approfondi cette question ; mais cette ignorance d'une science à peine née ne leur faisait pas oublier le principe que nos économistes, après soixante années d'études, n'ont pas encore su appliquer, malgré toute la bonne volonte que je veux leur supposer : on se rencontre toujours dans la justice.
Le paragraphe qui concerne les ministres de la religion se ressent de la foi de l'auteur. Du moment qu'il reconnaiasait la nécessité, d'une religion d'État (voir le Plan de législation criminelle), nous ne devons pas nous étonner de lui entendre dire : « Nul citoyen ne doit être recherché que pour avoir troublé un culte établi. La société doit tolérer toute religion, excepté celle qui la sape. »
Mais qu'on ne s'imagine pas que sa foi soit aveugle ; s'il croit dans l'entité qu'on appelle Dieu, il ne la confond pas avec les différents cultes d'institution purement humaine. « Tous les peuples de la terre ont une religion, lien subtil que leurs chefs ont tissé pour les enchaîner. »
S'agit-il du clergé catholique : « Ils ont trouvé le secret de s'ériger en hiérarchie sacrée, de s'attirer le respect par une vaine pompe, de se faire de la crédulité des peuples un riche patrimoine, de vivre dans l'oisivété, l'abondance, les plaisirs, et de consommer le bien des pauvres au sein du faste et des délices... Le moment est enfin venu de faire cesser cet affreux scandale, de rappeler le haut clergé à l'esprit de son institution, d'acquitter sa dette et de rendre aux pauvres leurs biens, qu'il dissipe si honteusement. » Tout ce que la Constituante va décrétér dans quelques mois sur cet objet est minutieusement prescrit par avance dans le Plan. En résumé, nous ne différons sur ce point de Marat qu'en ce qui concerne la nécessité d'une religion d'État et le respect qui lui est dû ; mais la liberté nous est trop chère pour rien sacrifier, même à Marat.
Enfin le dernier paragraphe du Plan de Constitution avait trait aux devoirs du citoyen, que le législateur résume en [174] ces termes : « Le pacte social étant un engagement réciproque entre tous les membres de l'État, si le citoyen veut que les autres respectent ses droits, il doit respecter les leurs à son tour. »
Enfin, synthétisant son travail, Marat repondait à l'objection banale tant de fois reproduite : - sans doute, il ne faut pas abandonner ses droits, mais le sage doit craindre aussi de les exagérer : « Les droits sont imprescriptibles, c'est-à-dire qu'ils veulent être radicalement restitués du jour où ils sont déclarés. » Les dernières réflexions du législateur montrent quels changements s'étaient opérés dans les idées depuis un mois seulement, car il terminait ainsi : « Ce n'est plus aux réformes énoncées dans leurs cahiers que nos députés doivent borner leur travail ; c'est d'après le voeu général de la nation, c'est d'après la position où elle se trouve actuellement. » Or, dans quel état se trouvait la France au mois d'aoùt 1789 ? Le peuple était sur la place, et tous les pouvoirs attendaient les ordres du souverain. Quel moment plus favorable pour lui présenter un plan de Constitution ? Et quel plan plus en rapport avec l'état des esprits, avec les besoins du moment, avec les aspirations générales, avec l'éternelle justice enfin, que celui de Marat ?
Mais je vous entends : il a pris parti pour le peuple, dites vous. Pour le peuple ? ce n'est pas assez dire, car le mot est si élastique que tous s'y rangent dans les crises révolutionnaires, et qu'en août 1789 le tiers état qui, plus tard, constituera ce qu'on appelle bourgeoisie, le tiers état se disait peuple aussi. Eh bien, ce n'est pas de cette classe du peuple qu'il entend être le défenseur dès le premier jour ; c'est surtout de cette partie des citoyens qu'on flétrit du nom de bas peuple, de populace, de malheureux en un mot, car c'est tout un dans la langue des élus ; oui, ce sont les petits qu'il veut relever, les méprisés qu'il veut réhabiliter, des hommes après tout qu'il veut reconstituer dans leurs droits ; le choix n'est pas équivoque : « J'abhorre, écrit-il, la licence, le désordre, [175] les violences, le déréglement ; mais quand je pense qu'il y a actuellement, dans le royaume, quinze millions d'hommes qui languissent de misère, qui sont prêts à périr de faim ; quand je pense qu'après les avoir réduits à ce sort affreux le gouvernement les abandonne sans pitié, traite en scélérats ceux qui s'attroupent, et les poursuit comme des bêtes féroces ; quand je pense que les municipalités ne leur présentent un morceau de pain que dans la crainte d'en être dévorées ; quand je pense qu'aucune voix ne s'est elevée en leur faveur, ni dans les cercles, ni dans les districts, ni dans les communes, ni dans l'Assemblée nationale, mon coeur se serre de douleur et se révolte d'indignation. Je connais tous les dangers auxquels je m'expose en plaidant avec feu la cause de ces infortunés ; mais la crainte n'arrêtera pas ma plume ; j'ai renoncé plus d'une fois au soin de mes jours : pour servir la patrie, pour venger l'humanité, je verserai, s'il le faut, jusqu'à la dernière goutte de mon sang. »
Donc son parti est pris, et bien librement, car, au début, qui l'empêchait d'embrasser celui du Tiers ? N'avait-il pas assez de réputation, de talents ? sa position sociale n'était elle pas assez indépendante, pour espérer faire son chemin dans cette voie nouvellement ouverte qui allait conduire aux honneurs, à la puissance, à la fortune tous ceux qui voudraient s'y précipiter ? Il est ambitieux, soit ; mais l'ambition qui l'anime n'est-elle pas des plus nobles, puisqu'il ne recherche, comme il l'a déjà dit lui-même, que la gloire de s'immoler en immortalisant sa mémoire ? De s'immoler ! le mot est juste, puisqu'on ne saurait atteindre aux places en défendant ceux qui n'en sont pas les distributeurs, atteindre à la richesse en défendant ceux qui meurent de faim, atteindre même à la gloire en defendant ceux que leur ignorance expose à méconnaître leurs vrais amis. Le mot est si juste que le parti pris de Marat serait inepte, si l'Ami du peuple n'était pas animé de la noble ambition qu'il proclame, que les ambitieux vulgaires ne sauraient avoir. D'autres, ajoutez-vous, se sont [176] présentés comme défenseurs de la cause des intimes, pour mieux les tromper ensuite. Soit, mais qu'est-ce qui le prouve ? Leur défection. Et si Marat ne trahit pas, qu'aurez-vous à répliquer ? C'est la suite de cette étude qui vous l'apprendra.
Marat avait promis un plan de constitulion jnsle, sage et libre. A-t-il rempli sa promesse ? Oui, son plan est juste, car il repose sur un principe qui n'exclut personne des bienfaits de l'association, car ce principe ne peut-être nié, car il n'est pas d'inventlon humaine et consequemment sujet à discussion, car il est sacré comme la vie dont la nature a commis le depôt à chacun de ses enfants : répétons-le une fois encore, afin qu'il se grave bien en notre mémoire, que jamais on ne le perde de vue, qu'il soit le point de repère de la politique de l'avenir : L'homme est né pour vivre, il a donc droit à tout ce qui est indispensable à son existence.
Oui, le Plan de Constitution est sage ; car, dans le sens que nous attachons à ce mot, la sagesse d'un législateur se prouve par le sacrifice qu'il fait de ses opinions particulières aux préjugés d'une nation ; je dis sacrifice des opinions, mais non pas de principes. Or, il est clair pour tous maintenant que Marat adhérant à la royauté dont il nous a si bien depeint les vices dans les Chaînes, dont il nous a rappelé la cruauté et l'injustice dans sa Législation, dont il nous a montré les intentions secrètes dans son Offrande, il est évident que Marat sacrifie à l'opinion générale ; il voudrait concilier le sentiment et la raison. Nous croyons que cette sagesse fut un tort ; mais elle ne peut dans tous les cas lui être imputée à trahison : les concessions politiques finissent toujours par entraîner après elles quelque violation de principe ; l'histoire dans laquelle nous allons entrer ne prouvera que trop combien de malheurs on aurait évités si au 14 juillet on eût du même coup renversé la Bastille et la royauté. On croit que le mal ne vient que des refus de transiger, que du manque d'entente ; il serait facile de prouver au contraire, l'histoire en main, que les plus grandes calamités, les plus grands [177] désastres, les guerres civiles enfin ne viennent que de l'illusion qu'on peut concilier l'inconciliable, la liberté avec l'autorité, le feu avec l'eau. Quoi qu'il en soit, ces concessions sont réhaussées du titre de sagesse, donc Marat se montra sage ; c'est sans doute à quoi l'on ne s'attendait guère.
Enfin la constitution que nous présentait l'auteur était elle libre ? Il nous a suffi d'en exposer le sommaire pour le démontrer irréfutablement ; nous n'y reviendrons pas.
Nous sommes autorisé à ajouter que, par la manière dont le législateur dégageait de son principe le droit à la subsistance, comme le premier de tous, parce que c'est celui dont le besoin se fait le plus immédiatement sentir, Marat se montrait supérieur à tous ceux qui jusqu'alors s'étaient occupés de législation politique ; n'hésitons pas à le dire, supérieur à Montesquieu et à Rousseau même, chez lesquels on chercherait en vain la déclaration explicite de ce droit ; supérieur à la Constitution de 1791, qui l'a totalement oublié ; à la Constitution de 1793, qu'il précédait. Le problème était tel, que la solution allait être l'objet des études des générations à venir, sous le nom de solution du problème du droit au travail.
Dans le Plan de Constitution surtout, il est facile de constater les deux qualités, clarté et courage : l'une, qualité de l'esprit ; l'autre, qualité du coeur, que nous avons eu lieu de remarquer ailleurs. Dans ce qui ne lui appartient pas en propre, Marat a le mérite d'une grande netteté d'exposition, d'une déduction naturelle, d'un enchaînement logique irrésistible, enfin le mérite qui constitue essentiellement le vulgarisateur. Ce qu'il a de propre, c'est l'audace qui lui permet toujours d'aller plus loin que ses maîtres, quoique inférieur en génie ; nous avons déjà fait observer que c'est par là qu'il avait différé de Beccaria. Combien de vérités restent, non pas ignorées, mais tenues sous le boisseau, ce qui revient au même, par la timidité des uns, le respect humain des autres, par intérêt, par ambition, pour se faire accepter des masses, [178] pour ne pas froisser les idées reçues. Ce qui manque aux peuples, ce sont bien moins les hommes de talent que les grands caractères ; or, c'est par le caractère que Marat se distingue même parmi les plus intrépides ; nous reviendrons sur cette consideration.
Il en est une autre sur laquelle nous devons aussi nous arrêter. Qu'était-ce, en 1791, que se présenter avec l'Offrande et le Plan de Constitution ? C'était entrer dans l'arène politique son programme en main ; c'était faire oeuvre de loyauté. En effet, commencer par une déclaration de principes, c'est engager sa parole, sa foi, ses actes. Ce n'est pas ainsi que s'y prennent les habiles, les révolutionnaires par metier. Bien au contraire, on se contente d'afficher en paroles, ou tout au plus en vagues déclarations, des opinions libérales ; on brode sur un canevas insaisissable, on s'exerce sur des généralités ; on embrasse tout, on écrit sur tout ; au fond, on ne précise rien. C'est l'art de conserver l'élasticité des convictions. On peut alors, selon la circonstance, tendre ou lâcher le ressort à volonté ; c'est le jésuitisme appliqué à la politique. On a vu des journalistes traverser sans encombre, à l'aide de ce procédé, les crises révolutionnaires les plus dangereuses. Qu'à cette tactique le pouvoir gouvernemental adhère par un semblant de persécution, et voilà, un héros populaire sur le pavois, voilà, une banque fondée ; on a du papier-monnaie politique que le peuple endosse avec fureur, que les souscripteurs tirent à profusion : il faut bien que le métier nourisse son homme. Vous n'avez pas de programme : c'est justement ce qui fait l'universalité de votre renommée, car chacun étend, rapproche, fixe les limites de votre opinion selon ses craintes, ses espérances, ses goûts, ses caprices, son intérêt ; si bien que vous êtes le patron de tous les partis ; c'est à peine si vous comptez un ennemi sérieux ; on vous applaudit au passage, on vous porte sur les épaules ; vous êtes roi de ce peuple d'aveugles, commandez un autel et vous serez un dieu. La politique de Marat ne fut pas aussi habile; en toutes [179] circonstances elle fut celle qui compromet. C'est sans doute pourquoi elle compte si peu de disciples.
A quelles catastrophes sanglantes n'aurions-nous pas échappé, si, dès 1789, nos pères avaient adopté les lois fondamentales du Plan de Marat ! Mais elles étaient trop radicales pour la monarchie, qui sentait bien que leur acceptation la tuerait ; pour les contre-révolutionnaires, qui n'auraient pu les tourner ; pour les ambitieux, qui n'auraient rien eu à demander en plus ; enfin, il faut le dire, pour le peuple tant habitue à la chaîne, qu'il lui semble qu'un anneau de moins à traîner par révolution est une conquête suffisante. Tous les partis rejetèrent le Plan trop radical du législateur Marat pour des expédients intermédiaires, pour des demi-mesures qui répondaient mieux à leurs vues secrètes ; et, d'expédient en expédient, la royauté aboutit au 21 janvier, les patriotes au 9 thermidor, la nation tout entière aux coupes réglées du despotisme imperial. Terrible leçon, inutile leçon ! Toujours les transactions avec la vérité, avec la justice prendront le nom de sage et judicieuse modération.
Nous pouvons affirmer d'avance que toute la politique de Marat est résumée dans le livre que nous venons d'analyser. Les principes sont-ils injustes, alors laissez là notre étude, et condamnez le législateur et nous ; car à partir de ce jour jusqu'à sa mort, je vous jure que Marat ne fera qu'en demander, qu'en exiger l'application. Vous paraissent-ils justes, au contraire, alors nous sommes en droit de vous sommer d'en admettre rigoureusement toutes les conséquences. On ne compose pas avec la justice, avec les principes. Mais si, les adoptant de coeur, vous ne vous sentez pas le courage de vos convictions ; si la justice n'est pour vous qu'un mot de passe qui n'a cours qu'en theorie et jamais en pratique, alors humiliez-vous devant votre propre couardise, devant vos inconséquences, mais ne calomniez pas Marat, ne lui faites pas un reproche d'avoir possédé au suprême degré la loyauté des opinions politiques, la vertu la plus rare chez les hommes publics. [180] Pour nous, qui déesormais avons sous les yeux la profession de foi du révolutionnaire, selon qu'il s'y conformera dans ses actes et dans ses écrits ou qu'il s'en éloignera, nous le louerons ou le blâmerons. Notre tâche n'est pas difficile ; elle n'offre de dangers que ceux que Marat nous a pour toujours appris à braver. [181]
Chapitre X |
Marat, l'Ami du Peuple |
Chapitre XII |