Chapitre XXV


Marat, l'Ami du Peuple


Chapitre XXVII


CHAPITRE XXVI.

BIOGRAPHIE.

1er OCTOBRE - 15 DÉCEMBRE 1791.

SOMMAIRE. - Ouverture de la Législative, voeux de Marat. - La Législative continue la politique de la Constituante ; colère de Marat. - Il désespère du salut public et se réfugie en Angleterre. - L'École du citoyen, ouvrage annoncé de Londres.

Le 1er octobre eut lieu l'ouverture de la deuxième législature ; on connaît les dispositions bienveillantes du censeur public ; on sait aussi les conditions ; il ne s'en départira pas, il n'en a pas le droit. « J'aime à croire que la plupart des nouveaux députés sont bien convaincus que les droits du peuple sont imprescriptibles, qu'ils ne peuvent être anéantis par aucun décret, et que les représentants de la nation ont toujours plein pouvoir pour assurer la liberté et la félicité publique. Fasse le ciel que ces observations germent dans leurs âmes, et que la France leur doive son repos et son bonheur ! » (L'Ami du Peuple, N° 566.)

Mais voilà que dès sa troisième séance la Législative jure solennellement de maintenir intacte la Constitution votée par la précédente assemblée. « Amis de la patrie, s'écrie Marat, cette pantalonnade est le tombeau de la liberté naissante, les nouveaux pères conscrits ne valent pas mieux que les anciens : Dieu sait combien on comptera parmi eux d'opineurs de la culotte ; n'attendez d'eux qu'infidélité, misère et désolation. » (Ibidem, N° 568.)

Que penser, en effet, d'une Assemblée qui confirme par son vote les décrets liberticides des constituants : la loi martiale, l'inviolabilité des législateurs, les restrictions imposées à la [418] presse, etc. ? Ne presentez-vous pas déjà que tous les tiraillements qui vont remplir la session viendront des luttes du droit contre l'oppression ? Qui manque de logique, Marat ou l'Assemblée ? Quel est le premier agresseur ? Qui, le premier, replace tous les citoyens sur le pied de guerre ? Faudra-t-il donc revenir vingt fois sur le texte même pour prouver que quiconque viole ma liberté se déclare, par cet acte même, mon ennemi ; fut-ce le pouvoir, qui n'a droit à mon respect qu'à la condition de remplir son mandat, c'est-à-dire de veiller au maintien de mon droit ?

Puis donc que c'est la guerre, guerre motivée, ne nous étonnons plus de voir l'Ami du peuple user des mêmes armes, de lire dans son numéro du 16 novembre 91, par exemple : « Serait-il possible que vous fussiez encore la dupe des imposteurs ! Avez-vous oublié que Duport (ministre) était le protégé des traîtres Bailly et Motier ? avez-vous oublié que Delessart (autre ministre) est l'élève de l'agioteur genevois qui vous affama si longtemps, tout en vous berçant de rêves dorés ? avez-vous oublié que leur maître est ce prince infidèle qui s'enfuit maintenant comme un voleur, pour se rendre chez vos ennemis et revenir à vous le fer et le feu à la main. » Ce n'est pas seulement au pouvoir exécutif qu'il s'en prend, mais aux législateurs : « La seconde législature n'est pas moins pourrie que la première. » (L'Ami du Peuple, N° 608.)

Ne demandez plus ce que veut cet éternel agitateur. Ne l'a-t-il pas répété cent fois ? Faut-il qu'il se résume une dernière, afin qu'entre lui et ses ennemis le point de séparation soit bien marqué ; afin que nous soyons forcés de nous prononcer ? car, entre les deux camps, il n'y a pas de neutres ; il n'y a que des traîtres ; entre la liberté et l'oppression, pas de terme moyen ; c'est la loi de Solon qui régit. Donc, le mercredi 30 novembre 91, voici en quels termes l'Ami du peuple résumait la question de principes : « Je ne vois qu'un moyen de rétablir l'ordre de l'État : c'est que la nation, soulevée à la [419] fois dans tous les coins du royaume, fasse main-basse sur tous les meneurs des ennemis publics, passe l'éponge sur tous les décrets des pères conscrits, expulse le despote avec tous les siens, arme tous les membres de l'État, et charge quelque tête saine de lui proposer une constitution dont la déclaration des droits soit la base, où la souveraineté du peuple soit consacrée de même que la juridiction des commettants sur les commis, la permanence des assemblées civiques, l'autorisation des citoyens à résister, les armes à la main, à tout ordre arbitraire et à courir sur les ennemis de la patrie, la parfaite séparation des pouvoirs, la restriction des prérogatives du prince, enfin la précaution de n'exiger des citoyens et des fonctionnaires publics que le serment de défendre la liberté et d'être fidèles à la patrie. » (L'Ami du Peuple, N° 613).

Cette fois encore son appel fut vain. Le peuple s'était un instant réveillé de sa léthargie à l'ouverture de la Législative ; mais, voyant les nouveaux représentants suivre la marche de leurs prédécesseurs, il s'était affaissé sur lui-même, comme un corps inerte ; le cadavre ne semblait plus galvanisable. Le 13 décembre, un correspondant écrivait à l'Ami du peuple : « Finissez-en, cher Marat, il en est temps. Qu'avez-vous gagné depuis que vous vous êtes déclaré le défenseur d'un peuple corrompu, toujours prêt à fermer l'oreille aux avis salutaires que vous n'avez cessé de lui donner sur les machinations de ses infâmes mandataires et de ses perfides agents ?

« Vos prédictions, sans avoir quelquefois ce degré de vraisemblance qui force à agir, ne devaient-elles pas le mettre sur ses gardes en les voyant toutes se réaliser ? ne devaient elles pas vous assurer repos et liberté ? Mais il semble que plus vous accumuliez les preuves, moins vous persuadiez... Depuis deux ans ils n'ont cessé de crier que l'Ami du peuple est un incendiaire, ils verront les torrents de sang qui vont couler... » (Ibidem, N° 624.)

Et quels défenseurs le peuple avait-il à opposer à ses [420] ennemis conjurés ? « Le calme de clubistes, de bavards et de vaniteux pétitionnaires qui se cachent dans les moments de crise, laissent lâchement égorger leurs concitoyens et viennent ensuite en bravache à la barre du Sénat afficher leur sottise, et assurer gravement les pères conscrits que bientôt la liberté roulera dans la poussière tous les tyrans de l'univers. Peuples, voilà les héros qui doivent prendre votre défense et vous faire triompher ; comme s'il suffisait de quelques phrases ridicules pour écraser les armées innombrables des ennemis de la liberté. O nation insensée ! que n'as-tu renoncé à ton vain babil pour suivre les conseils de ton ami ! » (L'Ami du Peuple, N° 625.)

L'homme qui s'exprimait ainsi, qui se faisait si peu illusion, qui voyait si juste, était-il un anarchiste dans le sens qu'on attache ordinairement à ce mot ? Personne n'avait pris la chose publique plus au sérieux, et c'est justement ce caractère de gravité qui attache à sa polémique, et c'est à cause de cela même qu'on a cherché depuis, et par toutes les calomnies possibles, à détourner le peuple de la lecture des oeuvres politiques de Marat. Pourquoi faut-il, hélas ! que toute accusation soit accueillie sans preuve et si vite, tandis que l'on exige pour la réhabilitation tant de pièces à l'appui ? Pourquoi faut-il que, les pièces produites, on recule d'effroi devant l'examen de tant de preuves demandées ?

Cette atonie publique avait ôté à Marat tout espoir ; aussi tout à coup annonce-t-il une détermination à laquelle on ne s'attendait guère d'un homme qui avait tenu tête aux ennemis du peuple tant qu'il avait été harcelé par eux, et qui allait quitter son poste au moment ou l'amnistie l'avait rendu plus libre. Mais à quoi bon le médecin, quand l'application du moxa n'a plus d'effet ?

« O ma patrie ! s'écrie-t-il le 14 décembre, quel sort épouvantable l'avenir te reserve... Que n'ai-je pas fait pour te dessiller les yeux ! Aujourd'hui il ne reste aucun moyen de prévenir ta ruine, et ton fidèle ami n'a plus d'autre devoir à [421] te rendre que celui de déplorer tes tristes destinées, que celui de verser sur tes trop longs désastres des larmes de sang. »

On put croire que ce n'était qu'une figure, un moyen de secouer l'indifférence des patriotes ; mais le lendemain, sans avertissement, comme s'il n'eût pas voulu éveiller la police sur sa résolution, Marat terminait la tâche qu'il s'était imposée au numéro 626, du 15 décembre 1791, et se retirait à Londres.

Nous sommes en mesure de prouver qu'en s'éloignant aussi subitement il ne cédait pas à quelque suggestion contre-révolutionnaire, que son silence n'était pas acheté, car c'est ici le moment de parler d'un ouvrage qu'il prépara dans son exil volontaire, travail propre à éclairer le peuple qu'il ne pouvait oublier ; il s'agit du livre qui devait avoir pour titre l'École du citoyen.

Le 12 mars 92, le club des Cordeliers nommait une commission chargée de faire passer à toutes les sociétés patriotiques du royaume le prospectus de la nouvelle publication de Marat. Le club agissait ainsi à la sollicitation de l'auteur qui l'avait prié, par lettre, de concourir à lever les obstacles qui s'opposaient à la propagation de ses écrits ; les Cordeliers s'engageaient, en conséquence, à surveiller l'envoi aux souscripteurs.

L'ouvrage composé de deux volumes in-8°, chacun d'environ quatre cents pages, devait être livré aux souscripteurs dans le courant d'août de la même année, au prix de six livres dix sous. Le prospectus de quatre pages d'impression, imprimé à Paris, s'exprimait en ces termes : « Les lecteurs qui n'ont pu se procurer l'Ami du Peuple seront flattés d'en trouver les morceaux les plus saillants fondus dans l'École du citoyen... C'est donc un livre indispensable à tous les Français qui aiment à s'instruire de leurs droits et à connaître les ressorts qu'on a fait jouer pour égarer le peuple et l'asservir continuellement, pour le réduire à la misère, le [422] tourmenter sans cesse par la famine, pour écraser les amis de la liberté, assurer l'impunité aux conspirateurs, souffler le feu de la discorde, livrer le royaume aux désordres de l'anarchie, et allumer dans tous ses points les torches de la guerre civile. »

Donc, le nouveau livre devait être le résumé de la politique maratiste, extraite du journal l'Ami du Peuple. Nous n'insisterons pas sur son utilité ; comment convaincre les lecteurs qui ne le sont pas par tout ce qui précède ? Quand on sait que les intrigues des agents du pouvoir se succèdent toujours les mêmes, on comprend que dévoiler ce qui s'est fait dans le passé c'est révéler ce qui se fera à l'avenir. Et, en effet, pour ne parler que de l'époque qui fait le sujet de ce livre, les menées des Girondins contre les Montagnards ne diffèrent en rien, pour le fond, de celles des Constituants contre les patriotes. Si l'aveuglement des peuples est toujours le même, la tactique des gouvernants n'a guère changé ; et, de fait, pourquoi s'evertueraient-ils à trouver d'autres moyens, quand les anciens sont toujours de mise ?

FIN DU TOME PREMIER.
[423]

Chapitre XXV


Marat, l'Ami du Peuple


Chapitre XXVII


dernière modif : 01 May. 2001, /francais/bougeart/marat26.html