Notes |
Marat, l'Ami du Peuple |
Catalogue |
Le travail bibliographique qui suit est tout entier de M. F. Chevremont. Les lecteurs attentifs se feront une idée de tout le profit que nous avons pu tirer des connaissances spéciales, des conseils, des rectifications, des communications de pièces de ce bibliophile consciencieux et patriote. Son obligeance a été telle, que nous considérons comme un devoir de justice et de reconnaissance de déclarer que, s'il y a quelque chose de bon dans notre livre, c'est en grande partie à M. Chevremont qu'il faut en savoir gré.
Ego polivi. ..... hanc materiam
Quam. ......... reperit.
A la date du 12 brumaire an IIIme (2 novembre 1794), la veuve Marat (Simonne Évrard) fit paraître le prospectus de la réimpression des oeuvres politiques de l'Ami du peuple ; des événements, ou plutôt des persécutions empêchèrent la réalisation de ce projet patriotique qui aurait redressé bien des erreurs et porté la lumière sur les faux numéros du journal qu'on rencontre dans presque toutes les collections. Voici ce qu'on lit, dans ce prospectus : « ..... Aujourd'hui enfin il n'est plus possible de faire prendre le change, et ses ouvrages (à Marat) vont paraître malgré les sourdes menées de l'envie qui s'y oppose.
« Cette édition aura donc, outre l'avantage de ne contenir que ce qui est vraiment sorti de la plume de Marat et de n'être plus confondue avec les fausses productions, celui d'être augmentée d'un grand nombre de notes et de remarques, et celui d'être rétablie dans sa première intégrité.
« Chacun sait, et Marat lui-même l'a annoncé, que ses numéros ont été souvent tronqués, altérés, falsifiés par des mains infidèles, auxquelles il était obligé de confier son manuscrit pour le faire imprimer, ne pouvant vaquer lui-même, sa tête étant proscrite. On profitait de sa cruelle position pour l'outrager impunément en dénaturant ses écrits. »
Un jour, je trouvai la note suivante dans un livre qui venait de paraître sous le titre : HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE, [353] par M. Villiaumé : « ... La calomnie ayant échoue contre Marat, le pouvoir essaya vainement de l'acheter et lui offrit de payer son silence un million ; Marat n'en devint que plus terrible : alors on fit paraître de faux numéros de L'AMI DU PEUPLE, imprimés souvent avec les caractères et le papier de ce journal ; et il arriva quelquefois que les lecteurs se virent trompés par cette contrefaçon. Il s'est glissé des numéros de cette contrefaçon dans toutes les collections, excepté, bien entendu, dans celle de Marat lui-même. Celle-ci, dans laquelle Marat a intercalé des notes et les manuscrits qui n'avaient pu paraître à cause du bris de ses presses, est en possession de l'auteur, à qui la soeur de Marat (Albertine Marat) l'a transmise en 1835. »
Avant d'aller plus loin, permettons-nous une remarque. M. Villiaumé dit que les notes et les manuscrits intercalés sont de Marat ; cette raison a contribué, je n'en doute pas, à lui faire vendre cette collection deux mille francs ; mais Simonne Évrard, la plus intéressée de tous à le faire savoir, ne parle point de cela, et je crois qu'elle n'y aurait pas manqué. A part certains manuscrits, je crois bien plutôt la majeure partie de ces notes rédigée par Simonne Évrard pour la réimpression des oeuvres politiques de l'Ami du peuple ; quand Marat manquait de temps pour revoir ou corriger sa feuille, comment aurait-il eu celui de faire toutes les notes et corrections que nous signalerons ?
C'est en 1835 que M. Villiaumé a reçu des mains d'Albertine Marat cette collection, c'est-à-dire près de douze ans après la mort de Simonne Évrard ; ce n'est donc qu'Albertine qui a pu lui affirmer que les notes fussent de Marat. Nous voulons admettre l'affirmation ; mais n'a-t-il pas pu se faire que la soeur, en parlant ainsi, n'ait voulu tout simplement qu'indiquer la source où Simonne avait puisé ? C'était comme si elle eût dit : Marat n'eût pas écrit autrement. Elle rendait à César ce qui appartenait à César ; elle remontait à la source commune de toutes leurs inspirations.
Nous n'insisterons pas, mais qu'on remarque qu'il n'existe pas de collectionneur qui ne prétende posséder les précieux numéros avec corrections manuscrites ; nous connaissons à Paris un [354] pseudonyme (M. Cas...) dont parle aussi M. Paul Lacroix dans le BULLETIN DE LA LIBRAIRIE A BON MARCHÉ, qui, lui aussi, déclare dans un catalogue avoir reçu d'Albertine une collection annotée ayant appartenu à Marat. Enfin la collection Labédoyère avait aussi des « numéros de L'AMI DU PEUPLE avec ratures, corrections et additions de la main de Marat. Plus de 80 pages in-8° entièrement manuscrites, sans compter de nombreuses notes en marge des numéros imprimés. » Les historiens sérieux qui parleront de Marat feront leur profit de tous ces renseignements.
Il n'est pas à ma connaissance qu'il ait été publié le moindre document bibliographique sur la collection de M. Villiaumé, qui a acquis une réputation telle, qu'elle fut vendue une première fois deux mille francs, ainsi que nous l'avons déjà dit, et revendue il y a peu d'années quinze cents francs.
Ce que je vais dire est le resultat de laborieuses recherches durant l'exposition à la dernière vente ; j'aurais tort d'affirmer que cette vérification, si consciencieuse qu'elle a été faite, se trouve à l'abri de toute rectification : je prie donc l'heureux possesseur de réviser ce jugement, si involontairement j'ai pu m'abuser.
Cette collection, que je croyais trouver unique sous tous les rapports, se présente sous un aspect informe et une reliure peu digne de sa rareté ; certains volumes sont composés de numéros non ébarbés dans un état parfait, d'autres, de numéros abominablement rognés provenant de collections déjà reliées, d'autres enfin du mélange de ces deux genres. En ouvrant le premier volume, je constatai tout d'abord l'absence du PROSPECTUS, première et indispensable pièce qui est la pierre de touche de l'opinion politique du rédacteur ; Marat y trace d'une main hardie et avec une conviction profonde la conduite d'un censeur public, il y démontre la nécessité de son entreprise. Comme nous, tout lecteur peut constater qu'il resta aussi fidèle à son programme qu'à la cause du peuple, pour lequel il a tout sacrifié.
Poursuivant mes investigations. j'ai vainement cherché une brochure que Marat dans son journal annonce avoir paru dans la nuit du 13 au 14 juillet, ayant pour titre : L'INFERNAL PROJET DÉVOILÉ.
Je n'ai pas vu un seul numéro du JUNIUS FRANÇAIS ; il y en a [355] cependant treize, tous avoués par Marat ; une collection du journal ne saurait être complète sans le JUNIUS, dont chaque numéro est en quelque sorte un supplément à celui de L'AMI DU PEUPLE.
Je n'ai pu trouver une brochure de quatre pages in-8° en forme de numéro du journal, sous le titre : MONITEUR PATRIOTE, pièce jugée si importante par Marat, qu'il l'indique à tous les titres des numéros de son journal.
La LETTRE A M. JOLY est dans l'état le plas déplorable de vétusté.
Le PROSPECTUS d'un ouvrage posthume de Marat, ayant pour titre : L'ÉCOLE DU CITOYEN, ne s'y trouve pas ; cette pièce, la seule qui fasse connaître l'esprit de ce manuscrit qui semble aujourd'hui perdu, est importante par ce seul fait.
Enfin je n'ai trouvé aucun placard ; si le plus grand nombre est réimprimé sous forme de numéro, il s'en trouve cependant qui ne l'ont point été ; c'est de ces derniers surtout qu'il faut déplorer l'absence.
Il résulte de cette investigation qu'il manque à cette collection, non-seulement toutes les pièces indiquées ci-dessus, mais encore la presque totalité des numéros manuscrits qui n'ont pu paraître et le manuscrit de L'ÉCOLE DU CITOYEN, que la veuve Marat devait aussi imprimer, selon ce qui est annoncé dans son PROSPECTUS, page 7. Tous ces manuscrits et les pièces imprimées dont j'ai signalé l'absence ont-elles été remises par la veuve à la soeur qui lui survécut jusqu'en 1841 ? Albertine Marat les a-t-elles remises complètes ou incomplètes à M. Villiaumé ? Je l'ignore, mais je constate un fait qui a son importance. Il s'est déjà glissé tant de faux numéros dans le journal de Marat, tant de fausses productions parmi ses oeuvres politiques, qu'on ne saurait prendre trop de précautions pour éviter d'en laisser grossir le nombre ; il ne faut pas, surtout, qu'à l'aide de cette collection on puisse un jour, y glissant quelques notes mensongères ou quelques fausses productions, imputer à Marat des opinions qui contrediraient ses principes dans le seul but de donner raison aux folliculaires modernes.
Cette collection, que je vis à la vente Solar en décembre 1860 et janvier 1861, me fournit l'occasion de confronter le journal avec des notes extraites de notre catalogue spécial, minutieusement [356] préparé sur plusieurs collections ; j'aurais désiré avoir plus de temps et le faire avec le catalogue même, la bibliographie y aurait plus gagné, mais, ne pouvant disposer que d'une heure d'exposition, je dus fixer plus particulièrement mon attention sur un point essentiel : une série de faux numéros inclus dans toutes les collections et sur lesquels j'avais depuis bien des années de graves présomptions. Par cette confrontation, j'ai constaté que les numéros
524 mardi 27 juillet 1791
525 vendredi 29 juillet
526 lundi 1er août
527 vendredi 5 août
528 lundi 8 août
étaient faux, qu'aucun numéro ne les remplace et qu'il existe à cette époque une lacune, comme du numéro 46 à 50, du numéro 58 à 69. Cette partie bibliographique appellera, je l'espère, l'attention des bibliographes et surtout des historiens qui voudront entreprendre une consciencieuse étude des oeuvres de l'Ami du peuple ; quant à mes présomptions à l'égard des cinq numéros signalés, bien que solidement appuyées par la lacune existant dans la collection unique, elles semblent encore mieux établies par un document du temps ; nous l'empruntons à Momoro qui, à cette époque de juillet 1791, lors de la funeste et sanglante affaire du Champ-de-Mars, était encore rédacteur du JOURNAL DU CLUB DES CORDELIERS :
« ... Les patriotes, poursuivis avec un acharnement incroyable par les ennemis de la Révolution, sont contraints de céder à la force, de gémir sur le sort de leur patrie que le deuil de la liberté va bientôt peut-être couvrir d'un crêpe lugubre...
« Le journal de Marat a été saisi, et les formes ont été brisées dans l'imprimerie où il se faisait. » (HISTOIRE DES JOURNAUX ET DES JOURNALISTES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE, par L. Gallois, tome IIme, page 471.)
Qu'y a-t-il d'extraordinaire qu'à cette époque de réaction sanglante Marat n'ait pu, durant quinze ou vingt jours, livrer sa [357] feuille à l'imprimerie, les presses ayant été brisées, l'imprimerie saccagée et l'éditeur jeté en prison ; qu'on lise le numéro 529 du mercredi 10 août 1791, il ne restera plus, je l'espère, aucun doute à cet égard. Mais, objectera-t-on, Marat n'a pas signalé cette lacune comme il a signalé les précédentes. C'est vrai, mais à cette époque les événements se succédèrent si rapidement, qu'on peut supposer que, ajournée, elle fut enfin oubliée. Qu'on s'étonne peu de voir M. Deschiens consacrer cette erreur si facilement admise après lui ; on a beaucoup colligé, mais combien le nombre des lecteurs est restreint, vu le nombre prodigieux de ceux qui se prononcent contre Marat sans l'avoir jamais lu ! Signalons, en passant, qu'aucun de ceux qui ont eu en leur possession la collection ayant appartenu à la veuve Marat n'a daigné faire profiter le public d'un travail utile. Si jaloux qu'on doive être de la posséder, il n'est rien qui puisse amoindrir le mérite de celui qui voudrait attacher son nom à l'oeuvre réparatrice des erreurs qui ont été commises ; rétablir la vérité, c'est ouvrir aux historiens une voie large et sûre, c'est travailler à réhabiliter la mémoire d'un grand citoyen dont la vie laborieuse fut consacrée au bonheur du genre humain. « La mémoire des martyrs de la Liberté est le patrimoine du peuple, » a dit la veuve de J-P. Marat ; vengeons-les de leurs infâmes détracteurs.
Ce qui rend cette collection exceptionnelle, ce sont les nombreuses notes mises en marges de la main de Marat (selon M. Villiaumé) et celles qui sont intercalées ; mais en présence de la ligue redoutable des méchants et de l'impossibilité matérielle de répandre les oeuvres de Marat parmi le peuple, je redoute les conséquences perfides que peuvent un jour tirer de ces notes inédites les ennemis de Marat ; d'ailleurs, qu'importent à la gloire de l'Ami du peuple quelques lignes de plus ou de moins, son journal est la démonstration vulgarisée et l'application des principes qu'on trouve développés dans ses oeuvres de philosophie, de législation, de constitution, des Chaînes de l'esclavage, de l'Offrande à la patrie, tous livres que les folliculaires ne peuvent entamer de leurs dents venimeuses ? La politique de Marat a pour base l'humanité et la justice ; aussi la reconnaissance des hommes justes et clairvoyants de [358] tous les temps le placera-t-elle, comme nos pères, au premier rang parmi les bienfaiteurs de l'humanité.
Revenons à certains détails qui concernent cette collection ; quelques feuilles intercalées ne sauraient remplacer les vingt numéros qui n'ont pu paraître ; ces dernières ne présentent à peine à elles toutes, que la matière de deux ou trois numéros de l'Ami du Peuple. Ce n'est pas sans être étonné que j'ai trouvé dans cette collection, et reliées avec les numéros du journal de Marat, un assez grand nombre de feuilles de L'ORATEUR DU PEUPLE, par Fréron, pour peu qu'on ait seulement parcouru le journal de Marat, on sait que parfois il faisait paraître dans L'ORATEUR DU PEUPLE des articles qui ne pouvaient entrer assez à temps dans sa feuille ; le contenu de tous ces numéros n'étant pas exclusivement de Marat, c'est, ce nous semble, détruire l'unité d'une oeuvre que d'y ajouter celle d'un autre ; leur vraie place serait ailleurs. Mais en admettant qu'un tel amalgame ait eu sa raison d'être, comment expliquer la présence d'un PROSPECTUS du journal de Maximilien Robespierre et celle d'une feuille intitulée : JOURNAL DU DIABLE ? Où peut s'arrêter un pareil abus, si l'on n'y met un frein ? Aussi me suis-je fait un devoir de le signaler aux bibliophiles et de leur fournir le moyen facile de colliger sans peine un journal de Marat, en leur offrant un catalogue spécial et minutieusement établi ; c'est en lisant qu'ils apprendront à reconnaître partout le caractère original qui distingue les écrits de Marat, et qu'il deviendra impossible de leur en imposer par de fausses productions.
Le catalogue que nous annonçons sera précédé de celui des oeuvres philosophiques, scientifiques, littéraires et politiques de J.-P. Marat ; parce que nous avons pour principe de ne rien avancer dont nous ne puissions garantir l'exactitude, en indiquant les sources où nous aurons puisé ; afin aussi de faciliter les recherches pour toutes les pièces qui nous seraient restées inconnues ou qui n'auraient pas passé sous nos yeux.
Cela dit, nous devons encore faire précéder notre travail de la réflexion suivante, afin que le lecteur sache bien que nous entendons établir la solidarité la plus étroite entre l'auteur de l'étude sur Marat et le bibliographe. [359]
L'étude spéciale des oeuvres de J.-P. Marat m'a vingt fois démontré que les bibliographes, en se copiant les uns les autres, sans examen ni vérification des pièces, enracinaient des erreurs qu'il deviendra un jour impossible de détruire. Pénétré de l'utilité d'un travail sérieux, j'entrepris il y a quelques années la bibliographie que j'offre aujourd'hui ; elle serait peut-être restée longtemps encore dans le carton, si je n'avais rencontré dans M. Alfred Bougeart une de ces rares natures qui, bravant les préjugés et la mauvaise foi, osent élever la voix en faveur de la vérité : historien consciencieux, patriote intègre, travailleur infatigable, il possédait les qualités indispensables pour commander la confiance, et plaider au tribunal de l'opinion publique la cause de Marat.
Unis par la conformité de nos vues sur l'Ami du peuple, c'est avec bonheur que j'ai mis à sa disposition les trente-deux volumes des oeuvres complètes de Marat, plus de deux cents brochures relatives à ce grand citoyen, une collection d'estampes, de peintures et de médailles.
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