Chapitre XXXI


Marat, l'Ami du Peuple


Chapitre XXXIII


CHAPITRE XXXII.

MARAT ÉLU DÉPUTÉ.

JOURNAL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

SEPTEMBRE 1792.

SOMMAIRE. - Marat est porté comme candidat à la députation de Paris. - Il est nommé députe le 11 septembre. - Adresse de Roland contre lui. - Justification du placard de Marat. - Sa réponse à l'adresse du ministre. - Nouvelle marche du journaliste. - Titre et épigraphe. - Encore dix mois de lutte.

C'est dans l'intervalle qui sépare les journées de septembre de l'ouverture de la Convention qu'eurent lieu les élections des représentants de Paris. Marat se présenta sans présomption comme aussi sans fausse modestie. Il y avait courage à accepter cette candidature dans des circonstances aussi critiques, quand les armées coalisées voulaient imposer à la France un roi que Paris venait de vaincre, qu'il s'agissait déjà de décapiter. Voici en quels termes, extraits d'un placard devenu très-rare, Marat se présenta : « Je finirai en vous rappelant l'Ami du peuple. Vous connaissez ce qu'il a fait pour la patrie ; peut-être ignorez-vous ce qu'il fera encore pour votre bonheur ; la gloire d'être le premier martyr de la liberté lui suffit ; tant pis pour vous si vous l'oubliez. » Nous offrons ce passage comme un modèle de profession de foi. On a dit que l'Ami du peuple avait été élu sous la pression des massacres. N'y eut-il donc de nommés que des septembriseurs ? Et Dussaulx, et Robespierre, Osselin, Desmoulins, Fabre d'Églantine, Boucher, David, etc., avaient-ils pris parti dans le coup d'État ? Comme les Girondins, ils [109] avaient laissé faire, comme eux ils croyaient leur conscience déchargée par l'abstention. Ce qui a pesé sur les élections, ce fut l'idée bien arrêtée de faire prédominer l'élément que bientôt nous appellerons montagnard, dans la représentation de Paris ; et cela, en opposition à l'élément girondin qui devenait chaque jour plus considérable par les choix de la province.

Le 11 septembre 1792, le Moniteur annonce la nomination de Marat.

Des le 13, dans une adresse du ministre de l'intérieur Roland, on lisait : « Avilir l'Assemblée nationale, porter contre elle à la révolte, exciter des craintes sur le ministère actuel, le représenter comme traître à la patrie, répandre la défiance sur toutes les autorités du moment et les généraux d'armée, appeler un renversement, prétendre qu'il est nécessaire et désigner hautement le dictateur qu'il faut donner à la France, voilà très-evidemment le but d'affiches qui paraissent sous le titre de : Marat, l'Ami du peuple, aux bons Français. Si quelqu'un en doute, qu'on lise celle qui fut publiée le 8 septembre, où l'on donne une prétendue lettre par laquelle on veut faire croire aux correspondances des députés avec nos ennemis ; où l'on traite de chiffons les décrets du Corps législatif ; où l'on présente tous les ministres, excepté le patriote Danton, comme des malveillants et des machinateurs occupés à paralyser les mesures prises pour sauver la chose publique ; où l'on veut ôter toute confiance à Kellermann, Dumouriez et Luckner ; où ma lettre à l'Assemblée nationale est traitée de chef-d'oeuvre d'astuce et de perfidie ; où je suis accusé de machiner avec la faction Brissot ; où l'on dit enfin qu'il faut un président du conseil à voix prédominante, en désignant qui il doit être.

« Que toutes ces propositions soient placardées au coin des rues sous le voile de l'anonyme, elles n'exciteraient que le mépris ; qu'elles y paraissent sous le nom d'un homme qui s'offre au peuple comme son ami, qui a pris de la consistance dans cette révolution, que le corps électoral compte parmi [110] ses membres, et que déjà plusieurs choix portent à la Convention (j'apprends qu'il vient d'être nommé), on s'étonne et l'on réfléchit.

« Est-ce l'erreur d'un homme ardent et soupçonneux qui prend ses craintes pour des vérités, et qui sème de bonne foi la défiance dont il est pénétré ? N'existe-t-il point d'ambitieux adroit, d'ennemi caché qui nourrit pour son profit l'inquiétude d'un esprit atrabilaire et le dirige à son gré ? Avons-nous dans notre sein des émissaires de Brunswick qui cherchent à nous affaiblir par des divisions intestines, ou des scélérats qui veulent tout renverser pour s'élever sur des ruines ? Je ne puis résoudre ces questions, mais je vois qu'il y a lieu de les faire ; et si ces scélérats et ces émissaires existaient parmi nous, ils s'efforceraient de produire la défiance et l'agitation que nous voyons exciter et perpétuer. » (Moniteur du 13 septembre 92.)

Cette adresse répondait aux placards de l'Ami du peuple, placards qui n'ont rien qui nous étonne dans l'expression de ses voeux, puisque l'Ami du peuple n'y fait que répéter ce qu'il a dit vingt fois, puisqu'il ne demandera pas autre chose dans les cinq derniers numéros de son journal, parus du 21 août au 21 septembre.

Au fond, de quoi se plaint le ministre ? De la défiance de Marat. Jamais autorité ne comprendra ce principe, mais il n'en restera pas moins l'éternelle sauvegarde des républiques. Que demandait Roland ? Qu'on le laissât faire ; il avait si bonne volonté ! Je n'en doute pas, vertueux Roland ; mais ne pouvez-vous vous tromper ? mais ne peut-on pas vous tromper ? De grâce, laissez-nous juges, nous qui sommes la matière administrée. Est-ce bien franchement d'ailleurs que vous vous étonnez de la défiance de Marat, après tant de trahisons des pouvoirs successifs, trahisons que vous-même avez dénoncées quand il s'agissait de vos prédécesseurs ?

Mais de qui se méfiait encore Marat ? De l'Assemblée. S'a-t-elle pas été nommée sous l'influence de la royauté [111] constitutionnelle ? Ne doit-elle pas tomber avec elle ? Ses hésitations n'ont-elles pas trahi ses voeux secrets ? Pourquoi son remplacement est-il tant attendu, si elle répond aux voeux du pays ? Et n'est-il pas notoire qu'aidée des ministres qu'elle a nommés elle n'use de ses derniers instants d'influence et de puissance que pour se faire renommer à la Convention ? Ne sont-ce pas là des motifs suffisants de défiance ?

Roland s'étonne que l'Ami du peuple demande encore aujourd'hui ce qu'il réclamait il y a un mois. Et pourquoi pas, si rien n'a changé ?

Mais des massacres ont eu lieu, dites-vous. Sont-ce donc des massacres que demandait Marat ? il avait voulu la mise en accusation des fonctionnaires infidèles, et, à quelques têtes près, on n'a massacré que des hommes privés, et tous les fonctionnaires suspects sont encore en place. Ne voyez-vous pas que son placard du 8 proteste implicitement contre le choix des victimes des 2 et 3 septembre ? Or, le supplice des innocents paye-t-il pour les coupables ? Et si les traîtres sont restés, le danger n'existait-il plus ? L'épouvante a glacé les royalistes ; mais les royalistes étaient-ils les seuls redoutables ? Tous ceux qui veulent l'autorité sans contrôle, de quelques noms qu'ils se parent, ne sont-ils pas également à craindre ? N'est-ce pas un vote de confiance que demandait tout à l'heure le chef du pouvoir exécutif ?

Roland sentait bien que la conscience publique ne se méprendrait pas ; aussi se rejette-t-il sur les insinuations : Marat ne serait-il pas vendu à l'étranger ? Marat ne serait-il pas un Cromwell en germe ?

Le bon sens public fit justice de l'adresse aux Parisiens, et les électeurs ne revinrent pas sur le choix qu'ils avaient fait de l'Ami du peuple. Quel autre sentiment que la pitié pouvait accueillir une proclamation qui finissait ainsi : « Que des lâches et des traîtres provoquent les assassins ! Je les attends, je suls à ma place, j'y fais mon devoir, et je saurai [112] mourir. » Dire le 8 septembre qu'on attend sans crainte les assassins, alors que les assassins ont été pendant quatre jours les maître de la place et n'ont pas touché un cheveu de la tête du ministre, c'est se donner gratuitement le mérite d'un courage tardif. Il est vrai qu'il entrait dans l'intérêt des élections girondines que Paris ne fût plus considéré que comme un repaire d'assassins. Précieux démentis donnés à ces imputations ; les hommes de la Gironde crieront souvent à l'assassinat, et parmi les victimes on ne comptera jamais que des Montagnards !

Dans les derniers numéros de l'Ami du Peuple, Marat répondit : « Je n'ignore pas les menées de la faction Brissot contre moi. Elle sont dignes de la bassesse de mes ennemis, mais je dédaigne d'employer le temps à les déjouer. L'Ami du peuple n'a rien à dire, si ses titres à la confiance publique peuvent encore être révoqués en doute. Le seul devoir qu'il ait à remplir envers ses concitoyens les patriotes de toutes les sections qui pourraient être induits en erreur, c'est de leur déclarer que le plus ardent de ses voeux est qu'ils trouvent beaucoup d'autres représentants qui aient mieux mérité de la patrie. » (L'Ami du Peuple, N° 682.)

Et le lendemain : « Ne voulant pas voler l'argent de Brunswick et des Capets fugitifs dont ce général défend la cause, je conjure tous les amis de la patrie de mettre à prix la tête des Capets et de Brunswick. » C'était la meilleure réplique. Quant au ministre considéré personnellement sa part fut bientôt faite : « Un mot à la femme Roland. Vous êtes priée de ne plus dilapider les biens de la nation à soudoyer deux cents mouchards pour arracher les affiches de l'Ami du peuple. Citoyens, vous êtes requis au nom de la patrie de corriger ces mouchards s'ils ont l'audace de reparaître. » Et en note : « Roland n'est qu'un frère coupe-choux, que sa femme mène par l'oreille ; c'est elle qui est le ministre de l'intérieur sous la main de son directeur, l'illuminé Lanthenas, agent secret de la faction Guadet-Brissot. » (Ibidem, N° 683.) [113]

Pour qui connaît les Girondins, il est facile de prévoir qu'ils ne pardonneront jamais à Marat cette piqûre à faite leur pythonisse ; les séances de l'Assemblée qui va s'ouvrir seront bien plus occupées par eux à se venger de leurs ennemis personnels qu'à sauver la patrie ; seulement, pour que le reproche ne puisse leur en être fait, ils seront assez habiles pour donner le change et présenter leur intérêt de faction comme intérêt public. Le peuple prendra parti, des lors la France sera divisée et exposée aux plus grands dangers par suite de ces divisions. Les Girondins succomberont eux-mêmes, il est vrai, mais leur mort ne sauvera pas la République ; car pour vaincre il faut des chefs aux partis, et, partout où il y a des chefs, la liberté est perdue. Que leur mémoire en réponde.

Quant à Marat, il allait inaugurer l'avènement de la République par un nouveau journal. On lisait dans le premier numéro : « Le despotisme est détruit, la royauté est abolie, mais leurs suppôts ne sont pas abattus. Les intrigants, les ambitieux, les traîtres, les machinateurs sont encore à tramer contre la patrie, la liberté a encore des nuées d'ennemis. Pour la faire triompher il faut découvrir leurs projets, dévoiler leurs complots, déjouer leurs intrigues ; il faut les démasquer et les réprimer dans nos camps, dans nos sections, nos municipalités, nos directoires, nos tribunaux, dans la Convention nationale elle-même. Comment y parvenir si les amis de la liberté ne s'entendent, s'ils ne réunissent leurs efforts ? Ils pensent que l'on peut triompher des malveillants sans s'en défaire. Soit ; Je suis prêt à prendre les voies jugées efficaces par les défenseurs du peuple : je dois marcher avec eux. Amour sacré de la patrie, je t'ai consacré mes veilles, mon repos, mes jours, toutes les facultés de mon être : je t'immole aujourd'hui mes préventions, mon ressentiment, mes haines, à la vue des attentats des ennemis de la liberté, à la vue de leurs outrages contre ses enfants ; j'étoufferai, s'il se peut, dans mon sein, les mouvements d'indignations qui s'y élèveront, j'entendrai sans me livrer à la fureur le récit [114] du massacre des vieillards et des enfants égorgés par de lâches assassins ; je serai témoin des menées des traîtres à la patrie sans appeler sur leurs têtes criminelles le glaive des vengeances populaires. Divinité des âmes pures, prête-moi des forces pour accomplir mon voeu ; jamais l'amour-propre ou l'obstination ne s'opposera chez moi aux mesures que prescrit la sagesse ; fais-moi triompher des impulsions du sentiment, et si les transports de l'indignation doivent un jour me jeter hors des bornes et compromettre le salut publique j'expire de douleur avant de commettre cette faute. »

Le nouveau journal, substitué à l'Ami du Peuple, allait prendre pour titre : Journal de la République française, par Marat, l'Ami du peuple, député à la Convention nationale. C'est que, sans doute, ce titre d'ami emporte avec lui l'idée d'une certaine condescendance qu'on pourrait interpréter malicieusement, qui siérait mal à Marat, maintenant qu'il va parler au peuple libre. L'épigraphe même est changée, elle ne rappellera plus au rédacteur son devoir de mourir pour la vérité ; elle indiquera le but du gouvernement républicain : Ut redeat miseris, abet fortuna superbis : que la richesse ne soit plus le partage exclusif des privilégiés, qu'elle soit le partage de ceux qu'on appelait jusqu'ici les misérables. Plus tard, quand l'Ami du peuple sera mort à la tâche, le citoyen Rousselin dira dans un discours en l'honneur de la victime : « Vous rappeler cette devise à laquelle Marat consacrait ses travaux et ses veilles, c'est dire son crime irrémissible aux yeux des aristocrates. » N'était-ce pas proclamer devant tous que si l'Ami du peuple avait quitté son titre primitif, il n'en avait pas oublié les engagements. En effet, c'était encore à la vérité qu'il allait consacrer les dix mois d'existence qui lui restaient et dont nous allons suivre les émouvantes péripéties ; puis, fidèle à sa première devise, il scellera de son sang toute une vie sacrifiée au bonheur du peuple et au triomphe de la liberté. [115]



Chapitre XXXI


Marat, l'Ami du Peuple


Chapitre XXXIII


dernière modif : 03 May. 2001, /francais/bougeart/marat32.html