Chapitre XXXII


Marat, l'Ami du Peuple


Chapitre XXXIV


CHAPITRE XXXIII

SEANCE DU 25 SEPTEMBRE.

SEPTEMBRE 1792.

SOMMAIRE. - On attribue à la peur les résolutions pacifiques de Marat. - Inquiétude des Girondins sur les résultats de sa nomination. - Ils résolvent de le tuer sous le rapport de l'influence politique. - Séance du 24. - Séance du 25 : faute de Robespierre et de Danton ; discours de Marat. - A quoi ont abouti les Girondins. - Grandeur d'âme de Marat envers les deux collègues qui l'avaient abandonné. - Marat étudié à la tribune par Fabre d'Églantine.

On n'a pas perdu de vue la résolution que Marat vient de prendre : il oubliera le passé, il comprimera les élans de son coeur, il domptera sa nature, il fera l'impossible. Il est probable qu'en écrivant ces lignes l'Ami du peuple cédait à l'entraînement de ses amis qui ne cessaient de lui recommander plus de confiance, plus d'abandon au moment ou la République allait être proclamée à la face de toute l'Europe comme un défi ; peut-être aussi se laissait-il aller volontairement à l'espérance : c'est un baume si doux sur les plaies du coeur !

Tout porte à croire que ses maladroits ennemis prirent cet effort sur soi pour un mouvement de peur ; il veut, dirent-ils, se faire pardonner son passé, il faiblit, il va demander grâce, il espère se faire absoudre. Point de pitié, qu'il soit ignominieusement chassé de notre sein, qu'on le juge, qu'on le condamne, et qu'avec lui tombent ses partisans, l'infâme commune ! Les insensés, ils allaient creuser la fosse où Marat les précipitera tous.

Ceux qui le connaissaient mieux en jugeaient autrement ; ils savaient bien que les caractères de cette trempe ne [116] faiblissent jamais, que trois années de lutte couronnées d'un véritable triomphe étaient peu propres à le faire dévier de ses principes ; et que, s'il devait ce succès à sa persistance, il ne serait pas assez inhabile pour ne pas en assurer les résultats, en renonçant au moyen qui le lui avait acquis. Aussi la nomination de Marat à la représentation nationale les avait-elle plus que jamais alarmés ; ce titre, en effet, allait lui donner le droit de monter à la tribune et de s'adresser à la France entière, c'est-à-dire de propager sa doctrine avec l'autorité d'un homme qui parle au nom d'une partie du peuple, et de quelle partie ? au nom de Paris dont on avait résolu d'étouffer l'influence ; il allait pouvoir s'attaquer corps à corps avec ceux qu'il désignait comme les ennemis du bien public, il allait les voir de plus près, mieux surprendre leurs menées, les dévoiler plus sûrement, acquérir par conséquent plus de confiance ; et l'on ne pourra plus lâcher contre le député les limiers de la police, le forcer à la retraite ; on ne pourra distinguer les droits du représentant de ceux du journaliste ; le second s'abritera sous l'inviolabilité du premier et n'en sera que plus osé ; ces considérations , très-logiques en elles-mêmes, unissaient cette seconde fraction des députés de la Gironde avec la première dans une même résolution : il faut à tout prix tuer cet homme ; nous sommes perdus, s'il ne tombe.

Cette détermination des Girondins n'est pas imaginaire de notre part, elle avait été prise dès avant l'ouverture de la nouvelle assemblée ; l'adresse de Roland, le discours de Pétion, les dénonciations du Moniteur, les adhésions du conseil général, celles de la Législative en fourniraient au besoin des preuves abondantes ; mais surtout ce qui va suivre ne permet plus d'en douter. Les électeurs, avons-nous fait remarquer, ne se laissèrent pas influencer par ces intrigues ; bien qu'épurés par le second degré, ils avaient nommé et maintenu Marat : le peuple savait bien qu'il n'avait qu'à gagner à ce qu'on veillât pour lui ; qu'une fausse alerte vaut [117] mieux après tout que la négligence d'une sentinelle ; que si l'on relevait et punissait celle-ci pour telle ou telle méprise, on s'exposait à être surpris, attaqué à l'improviste et vaincu ; envers et contre tous Paris maintint donc l'élection de l'Ami du peuple, et bien lui en prit.

A la veille de l'ouverture de la Convention, Marat avait écrit : « Consacrons-nous exclusivement à la Constitution ; ce qui importe, c'est de poser les bases de l'édifice social. » Ses ennemis avaient répondu : « Ce qui importe, c'est que tu meures. » C'est à ce spectacle des débats de toute une faction conjurée contre un homme que nous allons assister ; jamais plus violente tempête ne fut soulevée à l'Assemblée nationale ; jamais haines personnelles n'eurent de plus funestes conséquences ; que l'histoire en fasse retomber la responsabilité sur ceux qui n'ont pas voulu oublier.

La Convention venait de proclamer la République, il semblait que ce mot indiquât que tous les intérêts devaient ne plus se fondre qu'en un seul ; elle en était à sa cinquième séance, quand s'ouvrirent ces déplorables scènes. Rappelons exactement les faits : aux mesures que prennent les attaquants, on peut juger de la force de l'ennemi.

Dès le 24 septembre, Kersaint avait dit à la tribune : « Il est temps d'élever des échafauds pour les assassins, il est temps d'en élever pour ceux qui provoquent l'assassinat. » On sait déjà de qui il s'agit, mais comme l'orateur avait proposé un projet de loi relatif à sa motion et que quelques députés l'avaient repoussé, Vergniaud, le chef du parti par son talent, prit la parole : « Ajourner ce projet de loi, dit-il, c'est proclamer qu'il est permis d'assassiner. » On voit comment les Girondins répondent aux avances de conciliation qu'a faites l'Ami du peuple. Quoi qu'il en soit du vague de cette première dénonciation, la lutte est engagée, il n'y a plus à reculer. Buzot sera plus explicite. Il commence adroitement par semer la peur, il a mille raisons de se défier de Paris, des usurpations de la commune, de l'aveugle confiance [118] du peuple : « En conséquence, dit-il, je demande que la Convention nationale soit entourée d'une force tellement imposante que nous n'ayons rien à craindre, mais que nos départements soient bien assurés que nous n'avons rien à redouter. Croit-on nous rendre esclaves de certains députés de Paris ? » L'orage s'amoncelle, nous saurons bientôt sur quelles têtes va tomber la foudre. Tous les regards se tournent déjà vers Marat ; mais lui se tait, il attend que le coup soit direct, d'ailleurs n'a-t-il pas écrit il y a quelques jours : « Amour sacré de la patrie, je t'immole aujourd'hui mes préventions, mes ressentiments, mes haines ? »

Mais il est tard, la séance du 24 se ferme sur trois décrets tous diriges contre la commune et indirectement contre Marat : compte rendu de la situation de Paris ; loi à présenter contre les provocateurs au meurtre et à l'assassinat ; vote d'une force publique prise dans les quatre-vingt-trois départements. (Moniteur, 25-26 septembre.)

Ce premier succès enivra la Gironde, elle venait de compter le nombre de ses adhérents ; elle pouvait donc aller plus loin sans crainte, demander davantage, désigner nominativement les criminels, en finir tout de suite avec eux. Le lendemain s'ouvre la fameuse séance du 25 ; Pétion préside. C'est Merlin qui ouvre le feu en réclamant la parole contre l'ordre du jour ; il s'écrie : « Je demande que ceux qui connaissent dans cette assemblée des hommes assez pervers pour demander le triumvirat ou la dictature m'indiquent ceux que je dois poignarder. J'invite donc Lasource, qui m'a dit hier qu'il existait dans l'Assemblée un parti dictatorial, à me l'indiquer, et je déclare que je suis prêt à poignarder le premier qui voudrait s'arroger un pouvoir de dictateur. »

L'occasion s'offrait à souhait, Merlin était du parti des ultras, mais son âme républicaine se révoltait à l'idée que la Convention put renfermer un Cromwell parmi ses membres ; il était dupe de la tactique girondine, il allait nécessairement [119] entraîner dans sa protestation ces politiques de sentiment qui tueraient sur un simple soupçon.

Lasource n'eut garde de ne pas profiter du moment. « Merlin me calomnie, je ne lui ai point parlé d'un dictateur ni d'une dictature, c'est-à-dire du pouvoir d'un seul ; mais je lui ai parlé d'un pouvoir dictatorial, auquel je voyais tendre quelques hommes habiles dans l'art de l'intrigue, avides de domination... Je crains le despotisme de Paris, et je ne veux pas que ceux qui y disposent de l'opinion des hommes qu'ils égarent dominent la Convention et la France entière... J'en veux à ces hommes qui n'ont cessé de provoquer les poignards contre les membres de l'Assemblée legislative... J'en veux à ces hommes qui, le jour même où se commettaient les attaques, ont porté leur scélérate audace jusqu'à décerner des mandats d'arrêt contre huit députés à la legislature... Par l'anarchie ils veulent arriver à la domination dont ils ont soif... mais j'annonce aux intrigants que je ne crains point, qu'à peine démasqués ils seront punis, et que la puissance nationale qui a foudroyé Louis XVI foudroiera tous les hommes avides de domination et de sang. »

Remarquons l'habileté de l'attaque ; comment peu à peu elle se concentre ; il n'y a plus que les noms à ajouter. Hier on n'accusait encore les coupables que d'anarchie, aujourd'hui ils veulent la domination ; accusation des plus terribles le lendemain de la proclamation du gouvernement républicain, à six semaines du 10 août.

OSSELIN. « Que chaque député de Paris vienne protester à cette tribune.

UNE VOIX. « Oui, je dis qu'il existe un parti dans cette assemblée, c'est le parti Robespierre. Voilà l'homme que je vous dénonce. »

C'en est fait, il n'y a plus qu'à se défendre ou à être sacrifié. Danton monte à la tribune. Il demande la peine de mort contre quiconque aspire à la dictature ; il rappelle ce qu'il a fait pour la patrie depuis trois ans ; il défie qu'on puisse [120] directement et personnellement le convaincre du crime intenté contre les membres de la députation de Paris ; et, venant à un bruit qui a couru sur son compte : « Il existe, il est vrai, dans la députation de Paris, un homme dont les opinions sont pour le parti républicain ce qu'étaient celles de Royou (écrivain royaliste exagéré) pour le parti aristocratique : c'est Marat. Assez et trop longtemps l'on m'a accusé d'être l'auteur des écrits de cet homme. J'invoque le témoignage du citoyen qui vous préside. Il lut, votre président, la lettre menaçante qui m'a été adressée par ce citoyen, il a été témoin d'une altercation qui a eu lieu entre lui et moi à la mairie. Mais j'attribue ces exagératious aux vexations que ce citoyen a éprouvées. Je crois que les souterrains dans lesquels il a été renfermé ont ulcérée son âme... Il est très-vrai que d'excellents citoyens ont pu être républicains par excès, il faut en convenir ; mais n'accusons pas pour quelques individus exagérés une députation tout entière. »

Ainsi voilà Marat sacrifié par ses collègues, livré non pas tout à fait à la vengeance de ses ennemis, mais à leur commisération. C'était peu pour tant de souffrances avouées par Danton lui-même ; trois années de persécutions pour la cause du peuple, pour une cause que l'orateur avait aussi défendue, valaient mieux que cela. Le grand coeur du tribun me semble avoir failli en cette solennelle circonstance. Hélas ! pourquoi faut-il que les grandes intelligences soient généralement si peu comprises des hommes de sentiment, et réciproquement ! La direction et l'action ne sont-elles donc pas également indispensables pour atteindre au but, et notre cause a-t-elle donc trop du concours de l'une et de l'autre ? Que de fois nous avons eu à déplorer ce funeste dissentiment ! que de fois il a assuré le triomphe des ennemis de la liberté !

Robespierre, autre député de Paris, monte à son tour à la tribune. Après une longue, une trop longue énumération de tous ses mérites, il sacrifie Marat, comme avait fait Danton, [121] Marat qui tant de fois l'avait aussi soutenu contre ses ennemis sous la Constituante, qui l'avait si chaleureusement encouragé, qui n'avait pas craint de le proposer pour modèle aux patriotes, à qui enfin, nous n'hésitons pas à l'avancer, il devait en grande partie sa réputation ; Maximilien descend plus bas que Danton, il renie l'Ami du peuple, il répudie les louanges qu'il en a reçues plutôt que de se sentir lié par la reconnaissance. « On m'a imputé à crime les phrases irréfléchies d'un patriote exagéré, et les marques de confiance qu'il me donnait. » Pauvre Ami du peuple ! encore un ingrat de plus. Que son coeur dut souffrir ! Mais aussi comme l'ingratitude est mauvaise conseillère ! quelle faute politique viennent de commettre ces deux hommes ordinairement doués d'une si haute perspicacité ! Ils se sont, est-il vrai, personnellement disculpés du reproche d'aspirer à la dictature, en rejetant tout l'odieux de la mesure sur celui qui nettement l'avait demandée ; mais ils ne s'aperçoivent pas qu'ils ont rompu le faisceau, et que si quelqu'un ne le relie, l'un après l'autre ils seront pris à partie et vaincus, pour n'avoir songé qu'à dégager leur personnalité.

Voila donc le bouc émissaire impitoyablement repoussé par les siens mêmes ; il n'y a plus qu'à ramasser des pierres, qu'à procéder à la lapidation. Suivons les faits.

Barbaroux a senti la faute qu'ont commise Robespierre et Danton en s'isolant, en déclinant toute espèce de responsabilité des actes de la commune ; il comprend que c'est le moment de s'attaquer à celle-ci, de porter le grand coup qui doit anéantir la prédominance de Paris sur les départements. « On vous dira, citoyens, que le projet de dictature n'existe pas. Il n'existe pas ! et je vois dans Paris une commune désorganisatrice qui envoie des émissaires dans toutes les parties de la République pour commander aux autres communes, qui délivre des mandats d'arrêt contre les députés du Corps législatif, et contre un ministre homme public qui appartient non pas à la ville de Paris, mais à la République [122] entière. Le projet de dictature n'existe pas ! et cette même commune de Paris écrit à toutes les communes de la République de se coaliser avec elle, d'approuver tout ce quelle fait, de reconnaître en elle la réunion des pouvoirs. On veut pas la dictature ! pourquoi donc s'opposer à ce que la Convention décrète que les citoyens de tous les départements ; se réuniront pour sa sûreté et pour celle de Paris ? »

Attaquer la commune, c'était désigner Marat qui en était l'âme et ne s'en cachait guère ; le nom toutefois n'avait pas encore été prononcé par les accusateurs ; ils n'étaient pas sans inquiétude. Quel allait être à la tribune cet homme qu'on ne connaissait encore que par ses écrits, qu'on n'avait jamais entendu dans les grandes séances des clubs ? Après s'être révélé pendant trois ans comme le germe du journalisme révolutionnaire, allait-il être un Démosthène à la Convention ? Dans ce cas, ne serait-ce pas doubler son influence sur la multitude que de montrer qu'il disposait encore de la puissance de la parole ? On n'avait que trop déjà fait l'épreuve de l'audace de son caractère ; on avait tout à redouter. Lui-même n'avait pas encore lancé la moindre interruption ; comme l'animal dont on a longtemps suivi la piste, que pas à pas on accule dans un rayon toujours plus resserré, il semblait s'être blotti pour mieux rassembler ses forces, et s'élancer plus impétueux sur les assaillants. Il attendait le coup d'attaque ; c'est Cambon, c'est un patriote qui s'en chargea : « J'ai vu, dit-il, afficher dans Paris des imprimés où l'on disait qu'il n'y avait pas d'autre moyen de salut public que le triumvirat, et ces écrits sont signés Marat. » Puis l'orateur confirme l'accusation un peu vague de Barbaroux en spécifiant certaines dénonciations ; il termine : « Voilà les faits ; répondez, vous qui niez le projet d'établir à Paris une autorité dictatoriale. »

Il était évident qu'après les désaveux de Robespierre et de Danton, tout le poids de l'accusation retombait exclusivement sur l'Ami du peuple ; s'il succombait, avec lui serait [123] écrasée la commune ; dès lors aussi plus d'influence de la capitale, plus d'unité d'action, plus de centralisation de défense ; toutes les villes principales aspireront à titres égaux à protéger la Convention, la France se divisera, et l'étranger occupe encore le territoire ! Car l'erreur aujourd'hui n'est plus possible ; ce que craint la Gironde, ce n'est pas le triumvirat, la dictature de tel ou tel ; l'enthousiasme qui proclamait hier la République n'est pas encore éteint, et n'est-ce pas de la Montagne que sont partis les premiers cris ? Ce que redoutent avant tout les Girondins, c'est Paris ; s'ils s'en prennent personnellement à Danton ou à Robespierre, c'est tactique, c'est pour diviser, c'est pour détacher les chefs du corps d'armée. Voilà ce que n'ont pas compris ces deux grands citoyens, voilà ce que Marat seul a saisi d'un coup d'oeil, voilà le plan qu'il va déjouer, et c'est pourquoi, nous n'hésitons pas à le dire, dans la séance du 25 septembre Marat a sauvé la République.

Mais que va-t-il donc faire ? que va-t-il dire ? Niera-t-il ce qu'il a signé vingt fois ? Tout le monde a sa feuille entre les mains, les murs de Paris en sont encore placardés. Le répétera-t-il ? mais en quels termes ? Et comment échapper à la mort qui sans doute attend au pied de la tribune même ce nouveau César ? César sans prestige cette fois, sans Antoine pour le défendre, César délaissé de tous, des patriotes mêmes, de ceux avec qui jusqu'à présent il a fait cause commune ; César, qu'on immolera non pas à coups de poignard, mais qu'on foulera dédaigneusement aux pieds, puisque ses amis mêmes ont craché sur lui. Jamais homme ne fut exposé à plus grand péril ; Robespierre en thermidor aura Saint-Just, Couthon, Lebas et d'autres pour le défendre, pour mourir avec lui ; Marat n'a personne. Ne perdons pas une parole, jamais intérêt plus grand ne s'est débattu, puisque derrière l'homme il ne s'agit rien moins que du triomphe de la Révolution.

Nous devrions prendre le texte de son discours dans le [124] Journal de la République. Marat l'y a consigné tout entier au n° 5 ; mais on pourrait croire qu'il l'a refait à froid, qu'il y a ajouté ; nous préférons le Moniteur ; l'orateur n'y perdra rien.

Voici la manière dont il rend compte dans le journal des préludes de sa réponse. « Une foule de dénonciateurs, parmi lesquels étaient Cambon, Goupilleau, Rebecqui, m'environnaient avec des gestes menaçants ; ils me poussaient, me coudoyaient, me mettaient le poing sous le nez, pour m'écarter de la tribune. Boileau s'y élance ; l'instant paraissait favorable pour consommer l'atroce projet de la faction féroce ; et là, un numéro de l'Ami du peuple à la main, dont il tait la date, il en déclame le dernier article. C'est celui qui finit par ces mots : « O peuple babillard, si tu savais agir ! »

« A cette lecture, l'Assemblée est jetée dans un désordre effroyable ; de tous les coins s'élèvent des cris de fureur, de tous les coins me sont adressés des gestes menaçants : à la guillotine ! à la guillotine ! vocifèrent à l'envi les conjurés brissotins. Les moins emportés croient faire preuve de modération en se bornant à un décret d'accusation : la plupart des députés purs, entraînés par ce torrent de la cabale, joignent leurs voix à celles de mes persécuteurs, et les plus furieux se précipitent vers la tribune pour presser Cambon de conclure à la demande du décret homicide. C'est au milieu de ces soulèvements effroyables que je me présente à la tribune : hommes bons et justes, qui connaissez le coeur de l'Ami du peuple, les motifs qui ont toujours conduit sa plume, la pureté de son dévouement à la patrie, vous trembliez de voir l'innocence immolée à la fureur d'une bande d'hommes barbares... Rassurez-vous. Calme au milieu d'eux, fort de sa conscience, se reposant sur la justice de sa cause, sur son courage indomptable, sur la justice de la majorité des membres de la Convention, sur le sens droit des tribunes, sur le pouvoir irrésistible de la vérité, il bravait en souriant les clameurs forcenées de ses ennemis, bien assuré de les [125] couvrir de confusion et de sortir victorieux de cette lutte périlleuse. » (Journal de la République, N° 4.)

Si vous croyez qu'il exagère la fureur de ses dénonciateurs, lisez le Moniteur, et sachez interpréter les moindres aveux.

« Marat demande la parole. (De violents murmures, des cris : à bas de la tribune ! prononcés avec toute la chaleur de l'indignation, s'élèvent de toutes parts.)

« LACROIX. Je demande que l'Assemblée ne prononce que lorsqu'elle aura tous les éclaircissements qui lui ont manqué jusqu'ici, et je fais la motion expresse que Marat soit entendu.

« MARAT. J'ai dans cette assemblée un grand nombre d'ennemis personnels. (Tous ! tous ! s'écrie l'Assemblée entière, en se levant avec indignation.) J'ai dans cette assemblée un grand nombre d'ennemis, je les rappelle à la pudeur, et à ne pas opposer de vaines clameurs, des huées ni des menaces à un homme qui s'est dévoué pour la patrie et pour leur propre salut. Qu'ils m'écoutent un instant en silence, je n'abuserai pas de leur patience. Je rends grâces à la main cachée qui a jeté au milieu de nous un vain fantôme pour intimider les âmes faibles, pour diviser les citoyens, et jeter de la défaveur sur la députation de Paris. On a osé m'accuser d'aspirer au tribunat. Cette imputation ne peut avoir aucune couleur, si ce n'est parce que j'en suis membre. Eh bien, je dois à la justice de déclarer que mes collègues, nommément Robespierre, Danton, ainsi que tous les autres, ont constamment improuvé l'idée, soit d'un tribunat, soit d'un triumvirat, soit d'une dictature. Si quelqu'un est coupable d'avoir jeté dans le public ces idées, c'est moi. J'appelle sur ma tête la vengeance de la nation, mais avant de faire tomber l'opprobre ou le glaive, daignez m'entendre.

« Au milieu des machinations, des trahisons dont la patrie était sans cesse environnée ; à la vue des complots atroces d'une cour perfide, à la vue des menées secrètes des traîtres [126] renfermés dans le sein de l'Assemblée Constituante ; enfin à la vue des suppôts du despotisme qui siégeaient dans l'Assemblée législative, me ferez-vous un crime d'avoir proposé le seul moyen que je crusse propre à nous retenir au bord de l'abîme entr'ouvert ? Lorsque les autorités constituées ne servaient plus qu'à enchaîner la liberté, qu'a égorger les patriotes sous le nom de la loi, me ferez-vous un crime d'avoir provoqué sur la tête des traîtres la hache vengeresse du peuple ? Non, si vous me l'imputiez à crime le peuple vous démentirait ; car, obéissant à ma voix, il a senti que le moyen que je lui proposais était le seul pour sauver la patrie, et, devenu dictateur lui-même, il a su se débarrasser des traîtres.

« J'ai frémi moi-même des mouvements impétueux et désordonnés du peuple, lorsque je les vis se prolonger, et pour que ces mouvements ne fussent pas éternellement vains, et qu'il ne se trouvât pas dans la nécessité de les recommencer, j'ai demandé qu'il nommât un bon citoyen, sage, juste et ferme, connu par son ardent amour de la liberté, pour diriger ces mouvements et les faire servir au salut public. Si le peuple avait pu sentir la sagesse de cette mesure, et s'il l'eût adoptée dans toute sa plénitude le jour même où la Bastille fut conquise, il aurait abattu à ma voix cinq cents têtes de machinateurs. Tout aujourd'hui serait tranquille. Les traîtres auraient frémi, et la liberté et la justice seraient établies aujourd'hui dans nos murs. J'ai donc plusieurs fois proposé de donner une autorité instantanée à un homme sage et fort, sous la dénomination de tribun du peuple, de dictateur, etc. ; ce vain titre n'y fait rien. Mais une preuve que je voulais l'enchaîner à la patrie, c'est que je demandais qu'on lui mit un boulet aux pieds et qu'il n'eût d'autorité que pour abattre les têtes criminelles. Telle a été mon opinion. Je ne l'ai point propagée dans les cercles ; je l'ai imprimée dans mes écrits, j'y ai mis mon nom, et je n'en rougis point. Si vous n'êtes pas encore à la hauteur de m'entendre, tant [127] pis pour vous, les troubles ne sont pas finis. Déjà cent mille patriotes ont été égorgés parce qu'on n'a pas assez tôt écouté ma voix ; cent mille autres seront égorgés encore, ou sont menaces de l'être ; et, si le peuple faiblit, l'anarchie n'aura plus de fin. J'ai jeté dans le public ces opinions ; si elles sont dangereuses, c'était aux hommes éclairés à me réfuter les preuves à la main, à instruire le public. Moi-même j'aurais été le premier à adopter leurs idées, et à donner une preuve que je veux la paix, l'ordre, le règne des lois lorsqu'elles seront justes.

« M'accusera-t-on de vues ambitieuses ? Je ne descendrai pas jusqu'à une justification ; voyez-moi et jugez-moi. Si j'avais voulu mettre un prix à mon silence, si j'avais voulu quelque place, j'aurais pu être l'objet des faveurs de la cour ; mais quel a été mon sort ? Je me suis jeté dans des cachots, je me suis condamné à la misère, à tous les dangers. Le glaive de vingt mille assassins était suspendu sur moi, et je publiais la vérité, la tête sur le billot.

« Je ne vous demande en ce moment que d'ouvrir les yeux ; ne voyez-vous pas un complot formé pour jeter la discorde et distraire l'Assemblée des grands objets qui doivent l'occuper ? Que ceux qui ont fait revivre aujourd'hui le fantôme de la dictature se réunissent à moi ; qu'ils s'unissent à tous les bons patriotes et qu'ils pressent l'Assemblée de marcher vers les grandes mesures qui doivent assurer le bonheur du peuple, pour lequel je m'immolerai tous les jours de ma vie. Je demande que, faisant cesser ces discussions scandaleuses, l'Assemblée s'occupe de corriger la déclaration des droits, afin que le salut du peuple ne soit plus en suspens. »

En résumé, Marat disait : s'il y a eu crime à proposer la dictature dans les conditions que j'ai prescrites, moi seul suis responsable de cette proposition, car seul je l'ai faite, soutenue, seul je la soutiens encore. Mais le peuple de Paris n'en a pas moins sauvé la République par la mesure qu'il a prise, qu'il reprendra au besoin ; et vous n'oserez la désavouer, car [128] ce serait nier le principe que vous avez proclamé vous-mêmes : c'est là que le peuple vous attend. C'était dégager la question de toute personnalité, poser nettement celle de centralisation des pouvoirs dans les conjonctures présentes ; ce n'était pas là ce que voulaient les Girondins ; ils sentaient leur échapper la victoire qu'ils avaient crue si assurée il n'y a qu'un instant encore ; aussi cédèrent-ils, comme par instinct, la réplique au plus fort de leurs orateurs. Vergniaud prit la parole.

« S'il est un malheur pour un représentant du peuple, c'est, pour mon coeur, celui d'être obligé de remplacer à cette tribune un homme chargé de décrets de prise de corps qu'il n'a pas purgés. (Il s'élève des murmures.)

MARAT. « Je m'en fais gloire.

CHABOT. « Sont-ce les décrets du Châtelet dont on parle ?

TALIEN. « Sont-ce ceux dont il a été honoré pour avoir terrassé Lafayette ? »

Le début n'était pas heureux. On ne convainc pas avec le mépris. C'était d'ailleurs reprocher au soldat ses blessures ; c'était tourner la difficulté.

L'orateur poursuit et lit la circulaire du comité de surveillance aux départements après les massacres. Autre maladresse, car c'était étendre à plusieurs l'accusation et par conséquent en affaiblir la portée. Et c'est si vrai, que Vergniaud était de prime abord obligé de faire ses réserves pour quelques membres de la commune. Voilà l'accusation déplacée, le terrain perdu. Jamais Vergniaud n'avait été plus faible. Boileau ne le sentit que trop, aussi s'empare-t-il à son tour de la tribune ; et, pour concentrer de nouveau l'attaque, il reprend le numéro du journal de l'Ami du Peuple, il le commente, et, se tournant vers le journaliste : « Pour mon compte, Marat, je te dirai qu'il y a plus de vérité dans ce coeur que de folie dans ta tête. » Des cris : A l'Abbaye ! s'élevèrent de tous côtés. L'huile venait d'être versée, l'incendie s'était rallumé. « Je demande que ce monstre soit décrété d'accusation. » [129]

Marat se lève avec sang-froid : « Je supplie l'Assemblée de ne pas se livrer à un excès de fureur.

LARIVIÈRE. « Je demande que cet homme soit interpellé purement et simplement d'avouer ou de désavouer l'écrit.

MARAT. « Je n'ai pas besoin d'interpellation. On a osé m'inculper à cette tribune, et me donner pour titre de proscription les décrets provoqués contre moi par l'Assemblée Constituante et la Législative. Eh bien, ces décrets, le peuple les a anéantis en m'appelant parmi vous. Jugez mes intentions, ma cause est la sienne. Les titres de réprobation qu'on a invoqués contre moi, je m'en fais gloire, j'en suis fier. Les décrets qui m'ont frappé, je m'en étais rendu digne pour avoir démasqué les traîtres, déjoué les conspirateurs ; dix-huit mois j'ai vécu sous le glaive de Lafayette ; s'il se fut rendu maître de ma personne, il m'aurait anéanti, et le plus zélé défenseur du peuple n'existerait plus.

« Je reviens au chef principal de dénonciation. L'écrit qu'on a cité je l'avoue, parce que jamais le mensonge n'a approché de mes lèvres, et que la dissimulation est étrangère à mon coeur ; mais j'atteste que cet écrit (le numéro du journal) est fait depuis plus de dix jours, c'est-à-dire au commencement des nominations, alors que mon coeur était indigné de voir nommer à la Convention des hommes que j'avais dénoncé comme ennemis publics, de voir triompher cette faction de la Gironde qui me poursuit aujourd'hui ! Cet écrit porte une date qui ne vient que de la lésinerie de mon imprimeur, qui a mis en petit format l'écrit que j'avais fait imprimer il y a huit jours. Mais la preuve incontestable que je veux marcher avec vous, avec les amis de la patrie, cette preuve que vous ne révoquerez pas en doute, la voici : c'est le premier numéro d'un journal que j'entreprends sous le nom de Républicain. Permettez-moi de vous en lire quelques passages ; vous y verrez l'hommage que j'y rends à l'Assemblée conventionelle pour ses premiers travaux, et vous jugerez l'homme qu'on accuse devant vous. » [130]

Un secrétaire lit les passages du premier numéro du Journal de la République que nous avons cités au chapitre précédent.

Le journaliste ajoutait : « Je me flatte qu'après la lecture de cet écrit il ne vous restera pas le moindre doute sur la pureté de mes intentions ; mais on me demande une rétractation de cette lettre et des principes qui sont à moi ; c'est me demander que je ne voie pas ce que je vois, que je ne sente pas ce que je sens, et il n'est aucune puissance sous le soleil qui soit capable de ce renversement d'idées. Je puis répondre de la pureté de mon coeur, mais je ne puis changer mes pensées ; elles sont ce que la nature des choses me suggéré. Dans ce moment, permettez-moi de vous rappeler à d'autres considérations : si, par la négligence de mon imprimeur, une justification n'avait pas paru aujourd'hui, vous m'auriez donc voué au glaive des tyrans ? Cette fureur est indigne d'hommes libres : mais je ne crains rien sous le soleil (Marat tire de sa poche un pistolet qu'il applique sur son front), et je dois déclarer que, si le décret d'accusation eût été lancé contre moi, je me brûlais la cervelle au pied de cette tribune... Voilà donc le fruit de trois années de cachot et de tourments essuyés pour sauver la patrie ! Voilà le fruit de mes veilles, de mes travaux, de ma misère, de mes souffrances, des dangers que j'ai courus ! Eh bien, je resterai parmi vous pour braver vos fureurs, » (Il s'élève des murmures ; on demande que Marat soit tenu d'évacuer la tribune.)

TALIEN. « Je demande que l'ordre du jour fasse trêve à ces scandaleuses discussions.

COUTHON. « Je demande maintenant que l'on porte la peine de mort contre quiconque proposera la dictature.

MARAT. « Et contre le machinateur qui se déclarera inviolable. Si vous vous élevez au-dessus du peuple, le peuple déchirera vos décrets. »

La Convention passe à l'ordre du jour. Après quelques [131] débats sans importance, elle déclare la République française une et indivisible. (Moniteur du 27 septembre 92.)

Voilà donc à quoi avait abouti cette levée de boucliers des Girondins ! L'Assemblée comprenait que l'unité avait sauvé la France, que c'était par l'unité seule qu'elle pouvait assurer son salut, et son vote en faisait foi. A qui le pays devait-il cette déclaration ? A Marat seul, parce qu'il avait fait sentir que cette susceptibilité républicaine ne cachait au fond qu'une idée fédéraliste ; et la suite de cette histoire ne devait que trop le démontrer. A quoi devait-il ce triomphe ? A son caractère ; il avait réduit cette accusation de dictature à une simple question d'opinion personnelle ; or, tous ses écrits, tous ses actes, sa vie tout entière étaient là pour en témoigner ; et qui aurait osé dire que les opinions ne fussent pas libres ? On avait pu voir en cette grave circonstance, en comparant sa conduite à celle de Robespierre et de Danton, combien le caractère est la plus grande vertu politique et la plus rare, celle que nous devons le plus rechercher dans nos représentants.

Pauvre résultat d'un complot de toute une faction contre un homme ! Ils ont voulu l'anéantir, et le voilà plus grand que jamais. Marat n'était peut-être encore pour certains patriotes de bonne foi qu'un exagéré, et voilà qu'il est reconnu que sa politique est assise sur des principes invariables et défendue par la plus rigoureuse logique. Ce n'était peut-être encore pour d'autres qu'un écrivain sincère et tenace, et le voilà reconnu orateur, j'entends orateur révolutionnaire, c'est-à-dire allant droit au fait, sans emphase, sans rouerie, sans clinquant. Il n'était guère apprécié que de quelques-uns, qu'à Paris presque exclusivement, et voilà qu'il s'est fait entendre à toute la France ; que dis-je ? à toute l'Europe. Voilà donc à quoi se résumaient toute l'habileté, toute la valeur, toute la science politique de ces prétendus hommes d'État ! Assurément ces gens-là sont voués à la défaite, tant leur maladresse est grande ; Jupiter a posé le doigt sur ces cervelles orgueilleuses [132] d'elles-mêmes, et les voilà folles, si folles que, de propos délibéré, elles viennent de fournir à leur plus implacable ennemi des armes contre elles ; c'en est fait, elles peuvent se débattre, faire preuve dans leur lutte dernière du talent des grands rhéteurs, mais elles sont destinées à la mort, à la mort de ceux qu'on peut admirer quelques instants, mais qu'on oublie bien vite et qu'on ne regrette jamais.

Mais ne laissons pas échapper une autre observation provoquée par cette même séance. On a représenté Marat comme un homme plein de haine, ne voulant que le triomphe de sa propre personnalité ; c'était sans doute une belle occasion de se venger, au moins dans sa feuille, des dédains de Danton et de Robespierre ; bien peu, et des plus bénins ne l'auraient pas laissée manquer. Eh bien, écoutez le compte rendu qu'il fait de la séance.

« Danton se présente à la tribune, non pour repousser les calomniateurs, déjouer leurs complots et couvrir de ridicule leurs inculpations, mais pour rendre compte de sa vie politique, protester de son amour pour l'égalité, se défendre d'avoir jamais été l'instigateur des placards et des écrits de Marat, le Royou de la Révolution, invoquer à cet égard le témoignage du président, demander la peine de mort contre ceux qui voudraient la dictature ou le triumvirat. »

Et pas une plainte, pas un reproche ! « Robespierre, allant droit au but, remercie le dénonciateur qui l'a désigné comme chef de parti ; et, sans s'abaisser à repousser directement l'inculpation qui lui est faite d'avoir conspiré contre la liberté de son pays, il en fait sentir l'absurdité en présentant le tableau de sa vie politique, toute marquée au coin du civisme le plus pur. »

Quel contraste avec l'amour-propre girondin ! Ce seul récit suffirait, quand tout ce que nous avons avancé jusqu'ici ne le prouverait pas, pour réduire à néant toutes ces imputations d'envie, de basse jalousie dont on a couvert l'Ami du peuple. [133]

Enfin puisqu'il s'est agi dans ce chapitre de Marat considéré comme orateur, consultons le témoignage d'un député qui assista à cette fameuse séance, d'un bon appréciateur en ces matières, de Fabre d'Églantine.

« Mais ce Marat, faible par son coeur, si nous le considérons sous le rapport de son esprit et de son âme, nous verrons un homme d'une tête forte, d'un courage invincible, d'une fermeté inébranlable. Jamais je ne l'ai vu, dans les orages même les plus violents, sans une présence d'esprit rare et constante. Dans ses desseins, dans leur exécution, dans ses opinions, dans sa haine patriotique, rien ne le faisait dévier, rien ne le faisait fléchir. Ce n'était pas opiniâtrement, car il savait écouter la raison et savait la louer dans autrui quand elle surpassait la sienne, et cela d'un air tellement simple, que tel en faisait honneur plutôt à sa propre supériorité qu'à sa candeur. Dans le danger, dans les attaques immédiates et les plus épineuses, dans les persécutions les plus violentes, son courage et son intrépidité furent dignes d'admiration ; nul revers ne l'abattait, nulle considération ne le dominait. On en trouvera la preuve spéciale dans la manière dont il soutint à la Convention l'attaque terrible et combinée de toute l'aristocratie de France dans la personne de ses ennemis présents ; dans la victoire éclatante qu'il remporta, lui seul, sur eux tous, par l'intrépidité de son maintien et la force de sa logique ; dans la terreur qu'il leur renvoya dans l'âme, le mépris à la bouche et le pistolet à la main...

« Il avait plus que de la bonhomie ; l'une des bases de son caractère était cette pudeur ineffaçable qu'engendrent et nourrissent toujours, dans une âme honnête, la simplicité, l'amour du vrai, le sentiment du beau et du bon ; aussi rien ne l'indignait plus que l'impudence. L'aspect de l'effronterie unie à la dissimulation tantôt lui donnait des accès convulsifs, tantôt lui donnait dans le discours et jusque dans l'attitude une dignité mâle, une fierté grave, sous lesquelles sa [134] petite stature disparaissait. Je vous rappelle à la pudeur, était alors sa locution favorite, et, quoiqu'il ait eu souvent besoin d'en user, l'expression qu'il y mettait en était si fortement sentie, quelle ne parut jamais parasite dans sa bouche. » (Portrait de Marat, par P.-F.-N. Fabre d'Églantine.) [135]



Chapitre XXXII


Marat, l'Ami du Peuple


Chapitre XXXIV


dernière modif : 03 May. 2001, /francais/bougeart/marat33.html