Chapitre XLVII


Marat, l'Ami du Peuple


Notes


CHAPITRE XLVIII.

MORT DE SIMONNE ET D'ALBERTINE.

SOMMAIRE. - Lâcheté. - Conduite de Simonne et d'Albertine jusqu'au moment de leur mort. - Mort de Simonne. - Mort d'Albertine. - Récompense du dévouement à la cause du peuple ou de ses défenseurs. - Conclusion.

Pour l'honneur de l'espèce humaine je tairai le nombre des renégats qui, pour se faire pardonner le crime d'avoir connu, loué ou même timidement défendu Marat ou propagé sa doctrine, ont pris à tâche, comme l'infâme Fréron, de le vilipender, de le calomnier.

Nous avons d'ailleurs un souvenir plus intéressant, plus consolant à graver dans la mémoire de nos lecteurs. Depuis février 1795 on n'entendit plus parler de l'Ami du peuple, si ce n'est dans les livres d'histoire ; on sait en quels termes. Cependant tout le monde ne l'avait pas oublié. Deux pauvres femmes seules, retirées, au moment de la dépanthéonisation, dans la rue Saint-Jacques, n° 674, division des Thermes, et plus tard dans une petite chambre de la rue de la Barillerie, n° 33, vis-à-vis de ce Palais de Justice d'où Marat en avril 93 était sorti en vrai triomphateur, deux pauvres femmes étaient restées fidèles au culte de l'admiration et du dévouement qu'elles avaient constamment montrés à l'Ami du peuple : c'était Simonne Évrard et Albertine Marat. Plus de vingt-cinq ans après la Révolution, elles vivaient encore d'une petite rente de 560 francs sur l'État, dernier débris de la fortune que Simonne avait consacrée à l'oeuvre de son ami, et du travail de leurs mains ; jamais elles ne voulurent rien demander à la commisération des vrais patriotes, encore moins [338] au gouvernement, comme l'a affirmé M. Cabet. Elles cachaient leur nom, elles préféraient être ignorées pour épargner à leur époux ou frère quelques outrages de plus. Irrévocablement attachées aux principes politiques de celui qu'elles considéraient comme le seul homme qui eût vraiment compris la Révolution, qu'avaient-elles à attendre des sujets de l'Empire ou de la Restauration ? en auraient-elles été comprises ? D'ailleurs que leur importait le monde ? Marat n'était-il pas tout pour elles ? Héritières de manuscrits, de notes de toutes sortes, de la collection de ses ouvrages édités, c'est dans ce trésor qu'elles puisaient sans cesse de nouveaux motifs d'admiration : que leur fallait-il de plus ? Les événements de chaque jour n'avaient-ils pas vingt fois été prévus par Marat, annoncés d'avance ? l'esclavage de ce peuple n'était-il pas le résultat de sa propre légèreté, de sa présomption vaniteuse, de son ignorance coupable, de son dédain pour ses vrais amis ou de son indifférence ? Que pouvaient, je le répète, deux pauvres femmes isolées ? Il ne leur restait qu'à mourir dans leur dignité ; ainsi firent-elles. Le 24 février 1824, Simonne Évrard succombait aux suites d'une chute qu'elle avait faite dans l'escalier. Albertine restait seule ; ce qu'elle dut souffrir, cela se sent, ne se décrit pas. Dix-huit ans après, on lisait dans le journal le Siècle, à la date du 6 novembre 1841 : « La soeur du fameux Marat vient de mourir à l'âge de quatre-vingt-trois ans, dans un grenier de la rue de la Barillerie, au milieu de la plus profonde misère, et n'ayant près d'elle, à son lit de mort, qu'un épicier, son seul héritier, et une portière, l'unique amie qui lui fût restée. Cette dame, dont les traits fortement caractérisés rappelaient la figure de son frère, vécut longtemps du produit de la fabrication des aiguilles de montres, ouvrage, dit-on, où elle excellait ; elle connaissait la langue latine. L'âge venu avec les infirmités, elle était tombée dans le dénûment. Quatre voisins et amis ont accompagné sa dépouille mortelle jusqu'à la fasse commune. »

Et voilà le résultat du dévouement le plus désintéressé qui fut jamais à la cause du peuple, à la mémoire de son plus ardent défenseur : pour Marat la persécution, l'assassinat, l'oubli ou le mépris ; pour son épouse et pour sa soeur, l'abandon et par suite la misère ! Mais qu'importe, si la vérité nous fait du sacrifice un devoir ?

Hâtons-nous de terminer une étude que l'ignorance des uns, la crédulité coupable des autres, les calomnies combinées d'un écrivain de renom, la haine des politiques autoritaires, l'injustice de tous enfin ne nous ont pas permis de rendre plus courte.

Au chapitre XLI de ce livre, nous faisions pressentir ce qui serait advenu si Marat ne fût pas mort en juillet 1793 ; et, pour qu'on ne nous accusât pas de nous lancer à corps perdu dans la fantaisie, nous ajoutions : nous laisserons parler les faits, nous citerons le témoignage de Camille Desmoulins. C'est par cette citation que nous croyons devoir achever notre ouvrage ; elle attestera, mieux que tout ce que nous pourrions dire, l'importance politique de l'Ami du peuple.

C'était en décembre 93, Camille jetant un regard autour de lui, et voyant s'amonceler l'orage qui bientôt devait engloutir le navire Argo des vieux Cordeliers, essaya une fois encore de prévenir la catastrophe en poussant un dernier cri d'alarme ; en indiquant, lui pilote d'expérience, le récif où devait inévitablement sombrer la liberté. C'est alors que parut le Vieux Cordelier. Or, écoutez ce qu'il disait au 10 décembre, dans le deuxième numéro de son pamphlet : « Il ne reste plus à nos ennemis d'autre ressource que celle dont usa le sénat de Rome, quand, voyant le peu de succès de toutes ses batteries contre les Grecques, il s'avisa de cet expédient pour perdre les patriotes : ce fut d'engager un tribun d'enchérir sur tout ce que proposerait Gracchus, et, à mesure que celui-ci ferait quelque motion populaire, de tâcher d'en faire une bien plus populaire encore, et de tuer ainsi les principes et le [340] patriotisme poussés jusqu'à l'extravagance... J'étais tellement convaincu que ce n'est que de ce côté qu'on pourrait entamer les patriotes et la République, qu'un jour, me trouvant au milieu de tous les docteurs brissotins et girondins, au moment de la plus grande déflagration de leur colère contre Marat, et feignant de croire à leur amour pour la liberté : « Vous direz tout ce qu'il vous plaira, interrompis-je ; Marat, contre qui vous demandez un décret d'accusation, est peut-être le seul homme qui puisse sauver la République, d'un côté dont personne ne se doute, et qui est cependant la seule brèche praticable pour la contre-révolution. » A ce mot de brèche praticable pour la contre-révolution, vous eussiez vu Guadet, Brissot, Gensonné, qui d'ailleurs affectaient beaucoup de mépris pour mes opinions politiques, montrer, en croisant les bras tous à la fois, qu'ils renonçaient à la parole qu'auparavant ils s'étaient disputée, pour apprendre quel était ce côté faible de la place où Marat était notre seul retranchement, et me dire avec empressement de m'expliquer. Il était une heure ou deux. Le comité de défense générale était garni en ce moment d'un assez grand nombre de députés, et je ne doute pas qu'il ne se trouve de mes collègues qui se rappellent très-bien cette conversation.

« Il n'y a qu'à rire de vos efforts, leur dis-je, contre la Montagne, tant que vous nous attaquerez par le marais et le côté droit. On ne peut nous prendre que par les hauteurs, et en s'emparant du sommet comme d'une redoute, c'est-à-dire en captant les suffrages d'une multitude imprudente, inconstante, par des motions plus populaires encore que celles des vieux Cordeliers, en suscitant des patriotes plus chauds que nous, et de plus grands prophètes que Marat. Pitt commence à s'en douter, et je le soupçonne de nous avoir envoyé à la barre ces deux députations qui vinrent dernièrement avec des pétitions telles, que nous-mêmes, de la cime de la Montagne, paraissions tous des modérés en comparaison. Ces pétitions, l'une, je crois, des boulangers, et l'autre, de je ne me souviens [341] pas quelle section, avaient d'abord été extrêmement applaudies des tribunes. Heureusement nous avons Marat qui, par sa vie souterraine et ses travaux infatigables, est regardé comme le maximum du patriotisme, et a cette possession d'état si bien établie, qu'il semblera toujours au peuple qu'au delà de ce que propose Marat il ne peul y avoir que délire et extravagance, et qu'au delà de ses motions il faut écrire comme les géographes de l'antiquité, à l'extrémité de leurs cartes : là il n'y a plus de cités, plus d'habitations ; il n'y a que des déserts et des sauvages, des glaces et des volcans. Aussi dans ces deux occasions, Marat, qui ne manque point de génie en politique, et qui a vu d'abord où tendaient ces pétitions, s'est-il empressé de les combattre ; et il n'a eu besoin que de quelques mots, et presque que d'un signe de tête, pour faire retirer aux tribunes leurs applaudissements. Voilà, concluais-je, le service immense que lui seul, peut-être, est en mesure de rendre à la République. Il empêchera toujours que la contre-révolution se fasse en bonnets rouges, et c'est la seule manière possible de la faire. » (Le Vieux Cordelier, N° 2.)

On se rappelle que Camille n'est pas suspect d'engouement à l'égard de Marat ; on se souvient que nous avous cité divers passages du Journal des Révolutions de France et de Brabant, dans lesquels le rédacteur reprochait à l'Ami du peuple ses exagérations ; eh bien, en fin de compte, expérience faite des hommes et des événements, lui qu'on accuse déjà de modérantisme, que Robespierre dans quelques mois va faire guillotiner sous ce prétexte, Desmoulins affirme aujourd'hui 10 décembre 1793, cinq mois après la mort de l'Ami du peuple, que Marat seul pouvait sauver la République, la Liberté, la Révolution, parce que seul il s'était arrêté au point au delà duquel il n'y a qu'extravagance, en deçà duquel il n'y a que réaction.

Et maintenant que le lecteur fasse comme Camille ; connaissance acquise des principes politiques et de tous les actes de l'homme privé ou public, qu'il prononce en dernier ressort, c'est son droit, c'est aussi son devoir. Mais, quelle que puisse être sa décision, il devait à sa conscience de l'appuyer sur des pièces authentiques ; il doit à sa qualité d'être raisonnable de ne condamner ou de n'absoudre Marat que sur des raisons. Nous n'avons fait que plaider la cassation d'un jugement inique ; nous attendons en toute confiance le verdict d'acquittement ou de culpabilité.

FIN.


Chapitre XLVII


Marat, l'Ami du Peuple


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dernière modif : 09 May. 2001, /francais/bougeart/marat48.html